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Stephane Sauvé & Didier Méric - Vieillir en communauté

Description du podcast

Stéphane Sauvé et Didier Méric, associés au sein de la start-up Rainbold Society, portent une initiative de promotion d’un habitat séniors à destination des personnes LGBT, avec l’appui du collectif de séniors Les Audacieux.

  • Par Aurélie Barbey & Guillaume Sicard
  • Le 27 février 2020 à la Maison de l'architecture Île-de-France
  • Montage : Valentin Brion Musique - Ezechiel Pailhès Label - Circus Company

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Contenu du podcast

Retrouvez l’analyse de l’entretien de Stéphane Sauvé et Didier Méric,
dans l’ouvrage du Printemps de l’Hiver.

Un habitat séniors alternatif
• Une offre spécifique pour une population spécifique
• Un processus de co-création
• Un autre modèle économique
• L’organisation spatiale de l’habitat partagé
• Des séniors acteur de leur habitat
• L’inscription territoriale

Retranscription de l’entretien

En quoi consiste Rainbold ?

S.S La raison d’être de ce projet de « Maison de la diversité » est de s’attaquer à l’isolement renforcé des seniors Lesbiens, Gais, Bi, Transsexuels. Aujourd’hui, ils sont à peu près un million de plus de 60 ans en France, dont 65 % vivent en solo et seulement 10% d’entre eux ont des enfants, ce qui induit l’absence d’aidants naturels. À présent, nous vivons dans un monde où l’homophobie a encore toute sa place, malheureusement, en dépit de l’évolution positive des mentalités, et des droits concernant le public LGBT. Ce phénomène de rejet était l’an dernier en hausse de 15 % comme le rapporte SOS homophobie. Les actes pour atteintes physiques pouvant varier et aller jusqu’à 60 %. En outre, le dernier chiffre fournit par l’OCDE est glaçant au regard du taux de suicide : il est de 2 à 7 fois supérieur pour le public des seniors LGBT versus les seniors hétéros. C’est-à-dire 2 pour les femmes et 7 pour les hommes. C’est pourquoi nous dirigeons notre action en direction de l’isolement social de ce public, notre réponse étant le projet de la Maison de la diversité initié par Rainbold Society.

Quelles sont les spécificités de cette communauté visiblement plus sensible ?

S.S Il est à noter que lorsqu’une une minorité est discriminée, elle va avoir tendance à se regrouper pour se sentir en sécurité. Et la sécurité est un des besoins fondamentaux de tout être humain. La question est de savoir comment se choisir et pourquoi si cela permet de mieux vieillir ? Pour notre part, nous évitons de parler de communauté LGBT parce que nous n’aimons pas ce mot qui glisse très vite vers le communautarisme, nous parlons donc plutôt d’affinités. Mais comment se choisir pour vivre une expérience d’habitat partagé ? En créant l’association « Les Audacieux et Les Audacieuses » nous faisons en sorte que ces personnes se connaissent mieux et se rencontrent avant de décider ou pas d’intégrer la Maison de la diversité.

Le dernier chiffre fournit par l’OCDE est glaçant au regard du taux de suicide : il est de 2 à 7 fois supérieur pour le public des seniors LGBT versus les seniors hétéros. C’est-à-dire 2 pour les femmes et 7 pour les hommes. C’est pourquoi nous dirigeons notre action en direction de l’isolement social de ce public, notre réponse étant le projet de la Maison de la diversité initié par Rainbold Society.

Cette Association est-elle la succursale de Rainbold et que font les personnes qui s’y rencontrent ?

D.M : Cette Association permet la création ou le suivi de liens sociaux. Les populations LGBT vieillissantes comme les autres ont les mêmes difficultés, c’est pourquoi nous nous intéressons à leurs difficultés en général. Aujourd’hui, en France, une personne sur cinq est un senior et dans dix ans, ce sera une sur trois, par conséquent, il nous faut imaginer des modèles ou des dispositifs pour tous ces seniors et en particulier ceux auxquels nous nous adressons. Ils sont grands-parents, actifs, anciens militants ou pas, ils veulent vivre une retraite et une vieillesse utile. C’est ce regard différent que toute la société doit porter sur cette population. Nous parlons des seniors LGBT, mais nous pouvons élargir le spectre et c’est ce que nous faisons dans le cadre de cette association où nous proposons des liens sociaux ou des activités autour du bien vieillir qui concernent tout le monde, les LGBT et les personnes seules, comme par exemple les veuves qui ont du mal à faire leur deuil, etc. C’est pourquoi nous pratiquons au sein de l’Association des activités culturelles festives, des rencontres, des réunions, des échanges, c’est déjà un premier point.
Le second concerne le bien vieillir que nous abordons avec des ateliers autour de l’alimentation, du sport, et des activités plus spécifiques à cette population où il est question de parler d’estime de soi, de confiance en soi, des aspects psychologiques qui demandent souvent un accompagnement comme cela se pratique dans nos ateliers.

Enfin troisième aspect et vous en parliez, l’Association est en effet une succursale de Rainbold où il est question de faire participer les seniors comme dans tout projet d’habitat inclusif. Celui-ci est produit, coproduit ou co-créé par les habitants ou les résidents eux-mêmes. Dans nos ateliers, les seniors adhérents sont invités à participer à la définition du projet que ce soit sur le plan architectural, philosophique et sociétal.

Pourquoi ces deux entités existent-elles séparément alors qu’elles travaillent ensemble ?

S.S : Le principe et l’originalité du projet est de répondre à un vide en la matière car en France, rien n’est fait en direction du public LGBT. Selon le vieil adage « l’on est jamais mieux servi que par soi-même » nous avons œuvré en ce sens partant du principe que les politiques publiques aujourd’hui sont très hétéro-normées. Le public qui nous occupe – actifs, militants ou pas - n’a pas envie de retourner dans le placard, c’est pourquoi nous suscitons un type de réponse à leur endroit, mais ce sont eux qui formuleront concrètement leur projet d’habitat inclusif. Destiné aux seniors autonomes ou faiblement fragilisés il est constitué de logements individuels en location avec des espaces de vie collectifs pensés et mis sur pied par l’Association Les Audacieux. Il s’agit d’un lieu et d’un mode de vie. Comme le disait justement Didier notre objectif est de répondre à l’isolement social lié à la vieillesse en général, mais il est également basé sur un projet d’entraide et de solidarité entre les voisins autour du bien vieillir. Nous répondons véritablement aux cahiers des charges d’habitat inclusif tout en essayant de comprendre les besoins spécifiques de la population LGBT vieillissante. Dans le cas présent, il s’agit de vieillir avec le VIH ou avec l’hormonothérapie, or, ces sujets-là ne sont malheureusement pas traités de façon suffisamment sécurisante, notre objectif étant d’aider ces personnes fragiles à se sentir pleinement investies dans leur lieu de vie, de les amener à être acteur du modèle de vie et de résidence dans lesquels elles se projettent et qui leur correspond.

Quels sont les espaces spécifiques qui font partie de votre cahier des charges ?

S.S : Nos ateliers de co-création existent depuis 2 ans. Chaque premier samedi du mois, le collectif parisien se réunit afin de traiter un thème particulier. Le premier de tous est savoir comment se choisir en considérant que vivre dans un collectif permet de donner du temps aux autres. Toute la difficulté consiste à apprendre à maintenir un certain équilibre entre sa vie privée et sa vie « partagée » dans une communauté. Il est envisagé des espaces dédiés dans lesquels des personnes s’engagent à faire vivre ce collectif, mais aussi d’autres qui s’investiront de leur mieux. Toutes véhiculent les mêmes interrogations : que se passera-t-il quand l’heure de la dépendance aura sonné ? Peut-on aller jusqu’en fin de vie dans la Maison de la diversité ?

Il est à noter que lorsqu’une une minorité est discriminée, elle va avoir tendance à se regrouper pour se sentir en sécurité. Et la sécurité est un des besoins fondamentaux de tout être humain. La question est de savoir comment se choisir et pourquoi si cela permet de mieux vieillir ?

Quelles réponses apportez-vous depuis deux ans ? Pour précision, quelle est la taille d’un habitat collectif car n’est pas la même chose de “vieillir” à 5, à 10, à 15, à 20…

S.S : Nous avons observé les pratiques les plus avancées dans l’Europe du Nord où certains pays ont déjà réfléchi à ces questions spécifiques. Selon les thématiques, nous sommes allés voir ce qui se faisait concrètement en Allemagne et en Belgique et nous avons fait des propositions en retour aux membres de l’Association Les Audacieux de manière à déblayer un peu le terrain. Charge à eux, ensuite, de faire la sélection des expérimentations en fonction de leurs aspirations. C’est ainsi que peu à peu, Les Audacieux ont rédigé un cahier des charges correspondant à leurs souhaits, à leur culture, le but étant de parvenir à une rédaction complète de leurs vœux. Concernant la dimension architecturale du projet et ses capacités d’accueil, il a été décidé de partir sur une vingtaine de logements intergénérationnels, incluant si possible des étudiants.

Étant moi-même ancien directeur d’EHPAD, j’ai veillé à trouver un modèle économique viable d’autant qu’en Île-de-France le coût du foncier est assez prégnant. Dans un premier temps, nous avons décidé d’agir plutôt en gestionnaires d’exploitation plutôt qu’en acquéreurs étant donné que nous ne disposons pas de financements importants, par conséquent, il nous faut trouver des partenaires immobiliers.

En avez-vous déjà identifié ou pas ?

S.S : Nous en avons identifié plusieurs. Aujourd’hui, nous avons noué un premier partenariat avec la Fondation des Petits Frères des Pauvres qui trouve dans notre projet ses propres valeurs à savoir le vieillissement, la précarité et l’isolement social des seniors.

Pour en revenir au dimensionnement du projet, il est fonction du prix du foncier et du retour sur investissement attendu par le bailleur ou le propriétaire de l’actif immobilier. En général, il est de 8% dans ce secteur. Plus sage, la Fondation des Petits Frères des Pauvres table sur un retour situé entre 2.5% et 3.5%, ce qui permet d’avoir des loyers plus raisonnables nous autorisant à viser le plus grand nombre.

Comment conjuguer le désir des Audacieux, la réalité économique de Rainbold et les impératifs des investisseurs ?

D.M : La rédaction du cahier des charges fut un peu la lettre au Père Noël. Nous sommes partis sans filtres en disant « À quoi ressemblerait la Maison de la diversité de vos rêves ? ». La seconde étape était de parvenir à faire entrer ces souhaits dans un modèle économique qui tienne la route, ensuite, de vérifier cette équation au regard des ressources des intéressés. Notre modèle économique est actuellement en devenir, il nous reste donc à faire la preuve du concept en collaboration avec la Fondation des Petits Frères des Pauvres et nous envisageons de créer une Maison de la diversité assez rapidement, l’objectif étant 2021 et pour ce faire nous visons plutôt une réhabilitation. Ce serait le moyen de démontrer la viabilité du concept et d’apprendre en cours de route, en un mot de faire école. Dans notre démarche, nous cherchons 500 m² soit la possibilité de créer une dizaine de logements d’une trentaine de mètres carrés, des surfaces qui correspondent aux ressources des personnes vivant en Île de France. Il va de soi que ce serait différent en Région tout bonnement en raison du foncier qui y est moins coûteux.

Nous parlons des seniors LGBT, mais nous pouvons élargir le spectre et c’est ce que nous faisons dans le cadre de cette association où nous proposons des liens sociaux ou des activités autour du bien vieillir qui concernent tout le monde, les LGBT et les personnes seules, comme par exemple les veuves qui ont du mal à faire leur deuil, etc.

500m² pour 12 personnes cela ne revient-il pas à 40m²/par unité de logement ?

S.S : Pas si vous prenez en compte les espaces communs. Qui plus est, il y a des circulations, un ascenseur et toutes les normes de conformité à respecter, etc. Dans notre cas de figure, nous avons prévu deux appartements d’une surface établie entre 35 à 40m², et deux autres appartements de plus de 50m². Les intéressés qui ont vécu dans des surfaces allant de 80m² à 100m² à Paris ont bien conscience qu’elles vont devoir repenser leur espace de vie. Mais l’habitat participatif permet de mutualiser les mètres carrés, ainsi, par exemple, la chambre d’amis n’est plus intégrée à l’appartement mais se trouve sur le palier puisqu’elle est partagée. Quant à l’appartement proprement dit, il sera équipé d’une cuisine et d’une salle de bains, il n’y a donc pas vraiment d’esprit de colocation, un système à la mode chez les plus jeunes et rentable par rapport au prix du foncier. Aujourd’hui, tous les investisseurs nous encourageraient à aller dans ce sens, sauf que ce n’est pas le désir des seniors qui n’ont pas envie de partager leur salle de bains, ni leur réfrigérateur.

N’y-a-t-il pas de grand salon partagé ?

S.S : Deux espaces collectifs sont prévus dans cette première Maison de la diversité. Une salle d’activités devra être multi-usages et nous comptons sur l’architecte pour concevoir un lieu transformable. Et une buanderie qui sera réservée aux partages des machines à laver et à sécher comme c’était inscrit dans le cahier des charges à la demande des Audacieux qui, par souci écologique, souhaitaient réduire leur empreinte carbone. Par ailleurs, il y a également un logement étudiant et une chambre d’amis comme je viens de le préciser, ces deux logements pouvant servir d’hébergement temporaire à un senior du quartier qui, de retour d’hospitalisation, n’a pas envie de rester isolé préférant rejoindre temporairement un projet social d’entraide et de solidarité.

Quelle est la place du médical dans l’ébauche de ce projet ?

S.S : L’aspect médical du projet n’est pas à l’ordre du jour puisque nous nous adressons à des jeunes seniors. Techniquement parlant, il s’agit de GIR 6, GIR 5 voire GIR 4, par ailleurs les espaces médicalisés dans une résidence doivent être habilités par l’Agence Régionale de Santé et le département et pour lesquels il faut répondre à des appels à projet. Ce ne sont pas des startups qui sont sous dimensionnées pour le faire et il existe déjà des armadas de modèles de ce genre, pour autant, notre but est d’imaginer ce type de résidences dans un second temps. En revanche, la réponse à une demande de soins est importante pour ces seniors qui, comme les autres, ont des problèmes de hanche, de genoux, c’est pourquoi nous envisageons à l’avenir d‘allouer dans les Maisons de la diversité un local commercial à l’usage de professionnels de santé ou d’un professionnel du bien-être, l’idée étant de les amener à s’installer en pied de l’immeuble. Mais nous touchons-là un domaine très sensible qui consiste à informer les soignants sur les besoins des seniors LGBT. Ce sujet avait été abordé par Michèle Delaunay en 2013 qui indiquait que 50 % des seniors LGBT refusaient d’aller chez le médecin afin de ne pas dévoiler leur orientation sexuelle. Forcément, les diagnostiques ou l’accompagnement ne sont pas les mêmes et l’on retrouve ici ce même dénominateur commun : un réel besoin de sécurité et surtout de ne pas être stigmatisé.

L’habitat participatif permet de mutualiser les mètres carrés, ainsi, par exemple, la chambre d’amis n’est plus intégrée à l’appartement mais se trouve sur le palier puisqu’elle est partagée. Quant à l’appartement proprement dit, il sera équipé d’une cuisine et d’une salle de bain, il n’y a donc pas vraiment d’esprit de colocation, un système à la mode chez les plus jeunes et rentable par rapport au prix du foncier. Aujourd’hui, tous les investisseurs nous encourageraient à aller dans ce sens, sauf que ce n’est pas le désir des seniors qui n’ont pas envie de partager leur salle de bains, ni leur réfrigérateur.

La Maison partagée est ouverte à tout le monde dites-vous, dans ce cas, en quoi la communauté LGBT y trouve-t-elle son compte ?

D.M : Les besoins des seniors sont tous les mêmes. Voilà pourquoi aujourd’hui, ils sont prêts à réduire la taille de leurs logements, sachant qu’en vieillissant il est plus pratique et facile de vivre dans un 30m² que dans un 90m². Dans le cas de la structure expérimentale initiée par la Fondation des Petits Frères des Pauvres nous voulons créer des espaces collectifs multi-activités et multi-usages ouverts sur le quartier. Le principe de la maison d’habitat inclusif est d’irriguer un climat de vie en accueillant divers seniors et des associations qui participeront aux activités conçues pour les résidents. Cette volonté participe à la définition prônée par les seniors eux-mêmes et que l’on a constaté dans les ateliers de co-création : une vie collective n’est pas une vie en collectivité. Cette différence insiste sur la valeur du chez-soi qui est extrêmement importante. Habiter un lieu c’est prendre possession de l’endroit. Aujourd’hui, les seniors sont prêts à vivre et à prendre possession de leur chez eux, mais en ne le faisant pas seuls, qu’il s’agisse de seniors LGBT ou de seniors isolés.

Le fait que vos utilisateurs soient plus militants que d’autres, leur permet-il d’accepter cette nouvelle forme d’expérimentation ?

D.M : Aujourd’hui, nous sommes dans le monde de la co-création et du copartage, ces nouvelles donnes sociales sont à expérimenter dans une ville en repensant aussi à des mobilités différentes. Quand on interroge l’homme de la rue, il y est favorable en raison de la défense de l’environnement et de la nécessité de mobilités douces, le plus compliqué est de convaincre la puissance publique. Mais nous y viendrons du fait que des collectifs, aujourd’hui pionniers, se mettront peu à peu en place dans un esprit de partage des lieux et des services associés.

Voulez-vous rester en ville et en Île-de-France ?

D.M : Nous n’avons choisi aucun territoire. Pour l’instant nous nous lançons dans une phase de recherche qui correspond à une demande. De quoi ont besoin les adhérents de ce collectif engagé qu’ils soient LGBT ou pas d’ailleurs ? Ils veulent être à proximité des commerces, des modes de transport, des activités culturelles. Ils se projettent tous dans une ville de demain à la fois ouverte et verte, pourvue d’une mobilité flexible. La mobilité tient une place prépondérante car ceux qui roulent en voiture et notamment en province savent très bien que dans quelques années ils ne pourront plus se déplacer de cette manière, il y a donc toute une population de seniors qui aura besoin de trouver à proximité des commerces et notamment des services de santé.

La réponse à une demande de soins est importante pour ces seniors qui, comme les autres, ont des problèmes de hanche, de genoux, c’est pourquoi nous envisageons à l’avenir d‘allouer dans les Maisons de la diversité un local commercial à l’usage de professionnels de santé ou d’un professionnel du bien-être, l’idée étant de les amener à s’installer en pied de l’immeuble.

Des places de parking seront-elles prévues ?

S.S : La question a été abordée du fait que l’écologie s’est invitée dans le cahier des charges. La voiture à Paris n’est pas indispensable, le style de vie y est différent de celui en Région. À Paris la place de parking est donc moins nécessaire. Mais quand nous avons interrogé les collectifs niçois et montpelliérains ce n’était pas le même son de cloche du fait que les modes de transport sont différents, par conséquent, dans ces cas-là il faut prévoir une place de parking. Pour compléter ce que disait Didier, il y a quand même un déterminant sur la vie des seniors LGBT qui sont 41 % dans leur communauté d’Île-de-France. Naturellement, nous nous adressons à ceux qui ont fait leur « coming out », ce sont des gens qui ont plutôt tendance à vivre dans des grandes villes où l’on a moins d’emmerdes qu’en milieu rural où la vie homosexuelle est beaucoup plus compliquée. Nous avons fait le choix de nous adresser à ce public urbain et lorsqu’on lui a demandé : “Est-ce que le critère d’avoir un centre LGBT dans la ville est quelque chose d’important pour vous ?”, beaucoup nous ont répondu oui, du fait qu’il y existe une offre culturelle, affinitaire ou communautaire permettant de vivre sans être montré du doigt.

Revenons-en à la sécurité, est-ce une valeur importante liée au fait que ces personnes ont eu un parcours de vie compliqué ?

S.S : Oui, la sécurité est une valeur importante, c’est la promesse portée par Rainbold Society auprès de l’Association des Audacieux. Les caractéristiques qui fondent l’identité LGBT, notamment la santé, ont un impact fort sur l’estime de soi, et la confiance de soi. Dès lors qu’une personne LGBT a conscience de son orientation sexuelle, de son identité de genre, elle porte une armure tous les jours pour éviter les coups. Notre promesse tient en une phrase : « Quand tu viens dans la Maison de la diversité, ton armure tu peux la laisser à l’entrée ». Ces mots là ont besoin d’être entendus. Vous me demandiez comment ont-ils fait pour se choisir ? Je dois bien dire qu’ils sont allés assez loin dans leur réflexion. Ainsi a-t-il été décidé de ne pas demander leur pedigree aux postulants partant du principe que les adhérents à l’Association Les Audacieux et Les Audacieuses sont déjà sur un même terrain d’entente. En revanche, si quelqu’un cherche à intégrer La Maison de la diversité ou veut participer à une activité ou à un repas collectif, il a été admis de s’assurer que les deux parties en présence se sentaient suffisamment en sécurité pour s’accueillir mutuellement. En ce qui concerne une personne désireuse de venir faire une période d’essai de deux mois en utilisant l’une des chambres d’amis temporaires, il a été convenu que cet hébergement ne serait accordé qu’à celles et ceux qui ont réellement une affinité avec ce projet social de vie en commun et d’entraide. De fait, ce dispositif écarte les demandes de confort à titre personnel qui n’y ont pas leur place. Cependant, de nombreuses questions restent en suspend. Par exemple, si une personne rencontre quelqu’un sur place aura-t-elle le droit d’y vivre ? La réponse est oui, mais à condition de respecter l’engagement collectif. De la même manière, il a été décidé de renoncer à accueillir des gens repliés sur eux-mêmes car le pacte social vise deux éléments intimement liés entre eux. 1) Faire en sorte d’assurer la santé et le bien être psychique de ces seniors. 2) le lien social étant l’antidote à la perte d’autonomie, il faut que les usages de La Maison soient admis par tous, à savoir un déjeuner par semaine, au minimum avec une ou deux personnes de manière à créer un lien social effectif.

Sont-ils allés jusqu’à faire un règlement ou pas ?

S.S : Ils sont allés jusqu’à faire une charte, effectivement, elle sera affinée puis testée.

De quoi ont besoins les adhérents de ce collectif engagé qu’ils soient LGBT ou pas d’ailleurs ? Ils veulent être à proximité des commerces, des modes de transport, des activités culturelles. Ils se projettent tous dans une ville de demain à la fois ouverte et verte, pourvue d’une mobilité flexible. La mobilité tient une place prépondérante car ceux qui roulent en voiture et notamment en province savent très bien que dans quelques années ils ne pourront plus se déplacer de cette manière, il y a donc toute une population de seniors qui aura besoin de trouver à proximité des commerces et notamment des services de santé.

Est-il prévu des points de pénalité ?

S.S : Il y a des critères d’entrée et de sortie, raison pour laquelle nous avons opté pour une location, la copropriété aurait été un peu plus compliquée.

En qualité de gestionnaire êtes-vous garant du bon fonctionnement et du bien vivre ensemble ?

S.S : J’ai envie de dire que le bon fonctionnement de notre projet revient de prime abord aux Audacieux ! Cette Association a rédigé un cahier des charges qui met à disposition des outils, pour autant, ce n’est pas uniquement la charte qui régie la vie courante de la Maison de la diversité. Ainsi les deux ou trois « babayagas » présentes dans le collectif des Audacieux et des Audacieuses nous ont apporté leur expérience en la matière. Ce n’est pas parce que l’on prétend pouvoir s’aimer jusqu’à la fin de nos jours que c’est génial de vieillir ensemble et que l’entraide fonctionne. L’enjeu est entre les mains du collectif qui doit prendre ses décisions en qualité de garant et pour se faire, il a imaginé un Conseil de Résidents et des séances « vide-sac » qui permettront d’analyser le bon déroulement des activités et des tâches collectives. En outre, pour des raisons économiques et limiter les charges du personnel, nous ne prévoyons qu’une seule personne salariée. Encore une fois, le rôle du senior est d’être actif au sein de sa communauté, notre modèle ne ressemble en rien à celui d’une résidence services seniors où ses usagers consomment des activités. Ainsi pour assurer la bonne marche de la buanderie, en l’occurrence les lessives, un binôme responsable supervisera cette tâche de manière à ce que l’un ou l’autre puisse s’absenter, partir en vacances, ou prendre un congé maladie. Le but du jeu dans un cadre collectif est de parvenir à s’autoréguler afin d’éviter que le salarié soit le médiateur, sauf si l’on se trouve dans un conflit qui n’a pas de solution.

Quel est le rôle du salarié ?

S.S : Son rôle est multiple. Comme il existera un “contrat” d’entraide et de solidarité entre seniors, le salarié en sera le garant de manière à faire respecter le cahier des charges de l’habitat inclusif porteur d’un projet social. Son job est d’animer ce projet de vie mais il a aussi pouvoir de superviser la location des chambres d’amis et de veiller à son taux d’occupation. La salle d’activités pourra aussi être mise à la location pour des clients extérieurs car il nous faut rentabiliser nos mètres carrés et la sécurité sera aussi un élément fort de son travail. La Maison de la diversité n’est pas un hall de gare, les personnes qui auront à intervenir doivent y être sensibilisées et les Audacieux ont pensé à une fiche de règlement intérieur qui leur est destinée. Une de ses missions est aussi de faire rayonner la Maison de la diversité et de référencer les professionnels du territoire, qu’il s’agisse d’un cabinet d’infirmières libérales ou d’un plombier avec lesquels sera noué un partenariat d’intervention.

Le rôle du senior est d’être actif au sein de sa communauté, notre modèle ne ressemble en rien à celui d’une résidence services seniors où ses usagers consomment des activités.

La mission du salarié est-elle de prendre en charge tout ce qui est commun aux résidents ?

S.S : Outre son aide aux missions administratives, le salarié nouera des liens avec d’autres associations et d’autres bénévoles parce que le deuxième volet de l’impact social est de déconstruire les clichés et les préjugés liés à l’homophobie et ce but ne peut être atteint qu’en favorisant les rencontres et en fortifiant le lien social. Quand nous proposons d’animer un atelier d’entraide informatique, le fait d’être assis à côté d’un senior LGBT, n’a finalement aucune importance.

Quels sont les profils visés, s’agit-il de personnes seules ou de personnes en couple et peuvent-elles venir avec leurs meubles ?

S.S : La première question posée par les intéressés - notamment en Île-de-France où l’accessibilité à notre projet est liée à leurs ressources économiques - est de savoir quelle surface habitable peuvent-ils s’offrir en fonction de moyens ? Et pour vous répondre, nos locations sont non meublées, l’ameublement faisant partie de leur vie, ils l’emportent avec eux. Il faut savoir que nous nous adressons à des seniors isolés, mais qui ne se projettent pas dans un isolement potentiel futur, ce sont des personnes plutôt actrices de leur vie participant déjà à de nombreux collectifs ou associations. Par ailleurs, notre public cible est invisible et insécurisé du fait qu’il est LGBT. Un senior en soi est déjà fragilisé à fortiori au fil de son vieillissement, il ne va pas prendre le risque d’une discrimination potentielle supplémentaire en annonçant tout de go qu’il est LGBT. Les seniors en couple existent mais ils sont peu nombreux et de quel droit leur dirions-nous « vous n’avez pas votre place ici » ? Ce sujet va bien au-delà du fait d’être ou pas LGBT, il s’agit du respect de la personne et de la sexualité en général et en particulier de la vie de couple chez les personnes âgées. Sommes-nous socialement prêts à l’admettre ou pas ? À nos yeux, chacun fait ce qu’il veut chez lui, il n’y a pas de jugement à priori, mais une prise en compte de la réalité, c’est-à-dire qu’il existe à la fois des seniors isolés et d’autres qui vivent en couple.

Ce sujet va bien au-delà du fait d’être ou pas LGBT, il s’agit du respect de la personne et de la sexualité en général et en particulier de la vie de couple chez les personnes âgées. Sommes-nous socialement prêts à l’admettre ou pas ? À nos yeux, chacun fait ce qu’il veut chez lui, il n’y a pas de jugement à priori, mais une prise en compte de la réalité, c’est-à-dire qu’il existe à la fois des seniors isolés et d’autres qui vivent en couple.

Le modèle économique étant au cœur de votre projet et partant du principe que Rainbold est une start-up, avez-vous réfléchi à l’équilibre souhaitable de cette opération et à sa rentabilité sur le long terme afin de multiplier en France l’expérience de la Maison de la diversité ?

S.S : Oui, forcément, sinon, nous ne serions pas là pour en parler. Effectivement, la première opération pilote de la Maison de la diversité a pris du temps du fait même qu’il a fallu convaincre de son utilité. Encore que ce ne fût pas le plus compliqué ! Maintenant reste à la réaliser concrètement et là c’est une autre paire de manches car il existe une problématique d’homophobie sans parler des risques d’image pour nos partenaires. Tout d’abord, il a été très compliqué d’avoir un financeur principal, certes, nous avons trouvé des personnes qui veulent bien être co-financeurs mais sans un premier levier suffisamment fort, le reste ne suit pas. Pourquoi ? Nous n’avons jamais eu la réponse et nous ne l’aurons jamais ! Cependant, la bonne nouvelle est d’avoir trouvé un acteur de la notoriété de la Fondation des Petits Frères des pauvres pour s’engager avec nous, d’autant que l’investissement est de 4 millions d’euros, dès que ce fut acté, le téléphone s’est remis à sonner et d’autres partenaires se sont dits prêts à nous aider.

Quels sont les risques ?

S.S : Avec cette opération pilote nous faisons la preuve de concept et de l’expérimentation selon un modèle économique ciblé. Mais il faut que cette Maison soit autogérée et construite de telle manière que, si, demain, Rainbold Society s’arrêtait, elle reste ouverte et continue de fonctionner sans nous. Par conséquent, il est nécessaire de penser à la pérennité du modèle économique lequel a deux inducteurs principaux : le foncier et le taux de retour sur investissement de l’immobilier imposé par le propriétaire de l’actif. Ensuite, l’on peut ajuster la taille du projet en fonction du nombre de résidents. Avec un retour sur investissement à 8%, nous devons accueillir une soixantaine de personnes, mais dans le cas où il serait de 3%, le projet pourrait alors prendre une taille plus humaine avec une jauge de 30 personnes.

Quelles sont vos craintes ?

S.S : La première Maison va servir de test au cahier des charges afin de vérifier si le projet participatif fonctionne, si la vie en collectivité telle qu’imaginée est viable et si l’on parvient à intégrer un étudiant à même de donner un peu de son temps. Le risque serait de faire un ghetto avec toutes les bonnes intentions du monde et c’est aussi la crainte de tous les potentiels partenaires. L’autre questionnement est de savoir si nous serons de bons gestionnaires d’exploitation, c’est-à-dire être capables de percevoir des loyers et d’avoir, par exemple, des garanties de loyers impayés. C’est pourquoi nous voudrions passer assez rapidement à l’expérimentation sur le terrain afin d’asseoir concrètement notre projet et démontrer que le besoin est réel en Île-de-France et partout ailleurs en Région. D’après nos calculs, en tablant sur une Maison de 30 logements nous pourrions atteindre son autonomie financière et sa pérennité

Par conséquent, une expérimentation sur 12 logements serait-elle trop juste ?

S.S : Avec seulement 12 logements, l’expérimentation sera forcément différente. Ce qu’il reste à valider est la taille du collectif afin de juger sa masse critique. De façon intuitive, il paraît plus compliqué de gérer une grande Maison mais en même temps plus c’est grand plus les résidents ont le choix de leurs affinités contrairement à un cercle plus restreint avec lequel vous partagez un habitat au quotidien.

« Il faut que cette Maison soit autogérée et construite de telle manière que, si, demain, Rainbold Society s’arrêtait, elle reste ouverte et continue de fonctionner sans nous. Par conséquent, il est nécessaire de penser à la pérennité du modèle économique lequel a deux inducteurs principaux : le foncier et le taux de retour sur investissement de l’immobilier imposé par le propriétaire de l’actif. Ensuite, l’on peut ajuster la taille du projet en fonction du nombre de résidents.

Pensez-vous que faire transiter des candidats à la Maison de la diversité de Paris en région soit une solution appréciée surtout s’ils n’ont aucune affinité avec le territoire en question ?

D.M : Oui et non. Les seniors auxquels nous nous adressons se projettent et parlent d’avenir. Ils ont 60/ 65 ans et savent très bien qu’un jour ou l’autre, il leur faudra peut-être aller dans un EHPAD ou dans un établissement médicalisé à fortiori quand ils seront encore plus vieux. En attendant, ils ont encore 15 ans devant eux, anticipent un avenir plus difficile et ne veulent plus vivre isolés en ville ou dans une grande maison en province. Par conséquent, ils sont prêts à changer leurs habitudes. Nous parlons de personnes qui dans certains cas n’ont pas de famille, ou qui sont en rupture de liens familiaux et veulent profiter de leur retraite et des années qu’il leur reste à vivre. Voilà pourquoi il sera peut être plus facile pour eux d’aller en région c’est du moins ce que nous avons compris dans notre étude de stabilité réalisée dans la France entière. Cependant, la réussite du projet ou de l’expérimentation tiendra également à la valeur de notre projet social qui se fonde sur l’entraide et la solidarité, c’est vraiment le cœur du sujet, c’est aussi la motivation qui anime notre collectif.

S.S : Comme le dit Didier, les seniors sont d’autant mieux prêts à déménager dès lors qu’un projet social du bien vieillir est fondé sur la sécurité et notamment sur la thématique LGBT. Il ne faut pas le nier. Quand j’étais à Berlin, j’ai interviewé des habitants en leur demandant “Quels ont été les critères qui vous ont fait déménager ? Où viviez-vous avant ? “. L’un de mes interlocuteurs habitant en colocation à 40 km de Berlin a justifié son choix en me disant : « Personne ne viendra me visiter si loin de la capitale d’autant que mon lieu de vie à la campagne est inaccessible en transports en commun ». Beaucoup de personnes me disent que sur le papier ce projet les fait rêver, mais s’ils se retrouvent à Nanterre ce ne sera pas forcément une ville qui leur plaira, ou bien, l’immeuble ne leur conviendra pas. Reste à savoir ce qui primera, la localisation ou bien le projet social de Maison de la diversité ? Ces choix-là sont de l’ordre de l’intime et la décision appartient à chacun et chacune.

Quelle est la situation hors de nos frontières ?

S.S : Dans la capitale allemande, ils ont 4 ans d’exploitation et une capacité d’accueil de 30 logements pour 400 personnes en liste d’attente ! Une structure supplémentaire va s’ouvrir cette année et une seconde dans deux ans. Aux États-Unis, les différents programmes proposent des unités de 50 à 80 logements, le dernier en date situé en Californie a vu s’inscrire 1900 personnes !

Il ne vous manque plus qu’à convaincre les politiques publiques ! Pour clôturer nos échanges, nous aimerions que vous nous résumiez en quelques mots votre sentiment sur le bien vieillir en ville demain ?

D.M : Bien vieillir en ville demain requiert une évolution de la société et un changement de regard sur les vieux. Un senior en 2021 n’est plus celui d’y a 20 ans, moins encore celui des années à venir. Notre société accepte et acceptera forcément les différences, les diversités, elle sera davantage dans le partage que dans le modèle individuel, la voiture individuelle, la maison individuelle. Ces notions-là sont peut-être dépassées face aux évolutions sociétales et environnementales qui sont les grands défis auxquels tout à chacun doit travailler. Les seniors sont une ressource et non un poids dans la société c’est pourquoi il faut inventer et imaginer un autre modèle. La ville de demain se fera avec ses habitants, ce sont eux qu’il faut interroger afin qu’ils participent à une réflexion commune sur le sujet, ce que fait déjà notre collectif. Que veulent faire de leur vie aujourd’hui et demain les usagers ? C’est la vraie question.

S.S : Pour compléter, j’ai envie de revenir sur les raisons qui nous ont poussés à faire ce projet. Au départ, nous avons posé cette question : pourquoi se choisir permet-il de mieux vieillir ? À mon sens, une des valeurs fondamentales est la solidarité, l’entraide, le respect de chacun dans ses différences. Cette Maison de la diversité est un outil de renforcement du lien social lequel est complexe en France ou à la dérive. C’est en termes de sens que le lien social est une valeur sur laquelle s’appuyer, il est un acteur majeur de la prévention de la dépendance. Si l’on s’entraide, l’on vieillira mieux, en bonne santé et plus longtemps.

Interview réalisée le 27 février 2020 à la Maison de l’architecture Île-de-France par Aurélie Barbey et Guillaume Sicard