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Analystes #1

Mickaël Blanchet - Une géographie des seniors

Description du podcast

Mickaël Blanchet, docteur en géographie sociale, intervenant auprès du Centre national de la fonction publique territoriale est l’auteur de l’Atlas des séniors et du grand âge en France (2007, HyGée Éditions), à destination des décideurs locaux.

  • Par Guillaume Sicard
  • Le 11 novembre 2019 à la Maison de l'architecture Île-de-France
  • Montage : Valentin Brion Musique - Ezechiel Pailhès Label - Circus Company

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Contenu du podcast

Retrouvez l’analyse de l’entretien avec Mickael Blanchet
dans l’ouvrage du Printemps de l’Hiver.

• Une répartition différenciée
• Politique de la séniorité
• “Silver économie”
• Les nouveaux profils des retraités
• Les parcours résidentiel
• Quelle transformation à l’échelle de la ville

Retranscription de l’entretien

Quels sont les retours des collectivités sur cet Atlas ?

L’un des objectifs de cet Atlas était de s’adresser au monde académique, étudiant, universitaire mais aussi aux professionnels et en particulier aux collectivités territoriales, départements, intercommunalités ou communes.
Leur retour est plutôt bon. Des collectivités territoriales, notamment les départements en premier lieu, puis certaines villes, ont bien saisi la teneur de cet ouvrage et ont pu justement l’utiliser à différentes fins. La dominante étant urbaine comme en témoignent les collectivités territoriales qui se sont saisies d’une telle production.

D’après vous, y a-t-il eu une prise de conscience chez certains? Ou le sujet était-il déjà présent sur leur territoire ? Par extension, s’agit-il de municipalités de droite ou de gauche ou au contraire ce clivage n’est pas perceptible sur cette question ?

Honnêtement, le clivage est assez faible. À l’exception des départements qui sont, entre guillemets, sur la défensive vis-à-vis de leurs compétences en matière d’assistance d’accompagnement social. Que ce soit les métropoles, les agglos, les petites villes ou bien même les communes rurales, toutes sont peu en prise directe avec cet enjeu. Celui-ci est en réalité assez large, disons plus large que l’on pourrait le croire et il ne se résume pas uniquement au mot toubib et aux maisons de retraite. Nonobstant, cette prise en compte est modeste dans le cadre des politiques publiques, soyons francs. Depuis quelques années, il y a cependant différents outils qui émergent, plus exactement des démarches locales en faveur des personnes âgées. Il est à observer que le sujet demeure « très marketing » en termes de politiques publiques, notamment sur le fond, à savoir toucher des personnes âgées isolées ou les intégrer à la vie sociale. En définitive, tout cela reste à la marge.

En revanche, il existe une temporalité et il me semble nécessaire d’insister sur deux choses. Primo, les personnes âgées s’engagent dans la société civile en grande partie par le biais du bénévolat et du domaine associatif. Grosso modo, une personne âgée de 65 ans ou plus est présente dans le tissu associatif mais aussi dans un engagement électoral c’est-à-dire dans la fonction d’élu. Un chiffre à retenir : 18% des élus municipaux, maires ou adjoints, sont des retraités. On s’aperçoit de la chose suivante : plus vous êtes dans une commune qui est dense démographiquement, donc urbaine, plus la part des retraités dans la population des élus localement diminue. Secundo, en milieu rural et à l’inverse, ce sont eux qui tiennent ces espaces et ce n’est pas parce que vous êtes un élu retraité que vos préoccupations sont liées à votre âge, qu’il s’agisse de sociabilité, d’accompagnement des personnes âgées en perte d’autonomie, généralement ils s’en foutent. Ce sont les corporations qui sont prédominantes, notamment en milieu rural, où les agriculteurs sont particulièrement sensibles aux enjeux fonciers et agricoles, voir routiers. Par conséquent, la question du vieillissement est reléguée en arrière plan sachant qu’aussi d’un point de vue démographique, par rapport aux maires, l’idée forte est d’attirer une population jeune et familiale en milieu périurbain.

L’un des objectifs de cet Atlas était de s’adresser au monde académique, étudiant, universitaire mais aussi aux professionnels et en particulier aux collectivités territoriales, départements, intercommunalités ou communes.

Demeure-t-il cette idée que les personnes âgées ne sont plus productives donc pas attractives pour leurs territoires ?

J’ai envie de dire oui. Elles sont assez peu productives, mais il y a des solidarités familiales, et des solidarités vis-à-vis de la collectivité, c’est-à-dire un engagement associatif et une forte participation électorale, ils sont donc “dans la place” quelque part. Mais en termes de consommation de biens, de consommation de services dans notre société marchande, clairement, ils n’ont plus de crédit. La voiture, ils l’utilisent à minima et pour des petits déplacements, en outre, ils consomment moins de biens et d’un point de vue marchand la statistique s’effondre.

Peut-on dire que leur pouvoir d’achat est faible au motif qu’ils consomment localement ?

Ils ont du pouvoir d’achat mais il y a des nuances à apporter. Concrètement, ils n’ont plus de crédit ce qui dégage une masse financière importante. Le revenu médian des personnes âgées à l’heure actuelle est de 20.000€/an et 28.000€/an en Ile-de-France. Mais quand on divise ces pensions de retraite par 12, leur revenu mensuel reste modeste. Néanmoins, il demeure des coûts fixes encore importants pour une famille même si les enfants qui étudient ne sont plus présents, par ricochet, ils s’en sortent avec leur revenu disponible, disons que leur pouvoir d’achat est quand même « bon aloi », néanmoins, en termes de consommation, le mouvement ne suit pas. Pour autant, je pense qu’il faut observer que ces nouvelles générations de retraités sont beaucoup plus hédonistes, plus consuméristes en termes de pratiques, il faut donc voir si cette attitude s’inscrit dans le temps comme je le précisais à l’instant.

Depuis quelques années, il y a cependant différents outils qui émergent, plus exactement des démarches locales en faveur des personnes âgées.

Quelle est la carte du territoire francilien pour ces personnes âgées ? Et lequel leur paraît attractif ou répulsif ?

La géographie parisienne reste complexe, nous sommes dans une région où vivent plus de 12 millions d’habitants, une métropole de dimension mondiale en termes d’apports, ou d’attractivité, il est important d’avoir ce cadrage en tête.
Comment les personnes âgées s’inscrivent-elles dans cet espace ? Si l’on s’en tient à la géographie, un des premiers faits est que, selon les départements, entre un quart et un peu plus du tiers de la population de séniors qui arrivent à la retraite. Dans les cinq premières années, elles quittent Paris pour aller généralement s’installer soit en région PACA, dans l’arrière-pays provençal, ou bien sur le littoral Atlantique. Et ce, pour des raisons purement héliotropiques, c’est-à-dire, la recherche d’un nouveau cadre de vie ou à raison des rapprochements familiaux. Il s’agit là d’un premier phénomène, sachant qu’il tend à s’éroder. Si l’on pose la question de savoir s’ils ont les moyens de vivre ailleurs et de migrer la réponse est oui. Est-ce qu’ils en ont envie surtout ? Est-ce que le cadre de vie parisien les y maintient positivement ? Si les politiques publiques arrivent à retenir ces populations, c’est un bon signe à mon avis.
Second phénomène, en région parisienne, il y a des départements où la population de 65 ans et plus -même si cet âge est discutable - oscille entre 12% et 18% de la population totale. Un chiffre modeste vis-à-vis de la France métropolitaine où la référence est à 21%. Dans le département de la Seine-Saint-Denis, par exemple, vous avez des communes comme Aulnay-Sous-Bois et La Courneuve où il y a seulement 10% des personnes qui ont plus de 65 ans contre le double au niveau national. En contraste, dans les communes de Seine-et-Marne ou des quartiers dans le Sud Ouest parisien, les Yvelines également, où les personnes âgées représentent 1 habitant sur 5, donc proche du niveau national. En réalité, l’onde de vieillissement se déplace vers les départements du Val-de-Marne, du Val-D’oise et bien entendu la Seine-st-Denis où dans les années à venir l’évolution sera plus importante et dense.

Un chiffre à retenir : 18% des retraités sont des élus municipaux, maires, élus, adjoints etc. On s’aperçoit de la chose suivante : plus vous êtes dans une commune qui est dense démographiquement, donc urbaine, plus la part des retraités dans la population des élus localement diminue.

On constate donc un véritable différentiel entre l’urbain, le périurbain et le rural…

Le périurbain va se maintenir à un faible taux de personnes âgées. En revanche, Paris intra-muros va connaître une croissance de leur nombre. C’est surtout en valeur absolue qu’il faut davantage raisonner. Les effectifs vont quasiment doubler en Seine-Saint-Denis, donc en termes de politiques publiques il y aura un gros défi à relever s’agissant des allocataires en perte d’autonomie ou des infrastructures médicales à mettre en place. Pareil pour Paris ou d’autres foyers urbains, je pense notamment à l’Essonne et au Val-de-Marne où là, en termes d’effectifs, il faut s’attendre à une croissance extrêmement importante.

Cette statistique est-elle liée à la retraite des baby-boomers et va-t-elle perdurer ou se stabiliser ?

Les statistiques vont semble-t-il se maintenir. Reste que l’arrivée des baby-boomers apportent plusieurs caractéristiques sociologiques qu’il me semble intéressant de souligner, le fait, notamment que ces personnes retraitées vont vivre davantage seules, un chiffre qui se situe à hauteur de 31 % au niveau national. Certaines intercommunalités et espaces d’Ile-de-France affichent un taux de 50 % sachant que, dès la retraite, les personnes vivent seules, ce mode de vie, quel que soit l’âge, est plus fort en ville.
Mais la jauge tend à progresser, ce qui ne rime pas forcément avec isolement, ni avec quelque chose de catastrophique d’un point de vue de l’univers social. Certaines caractéristiques méritent d’être soulignées, notamment le fait que les personnes âgées donc retraitées et vivant seules seront en moyenne moins solvables. Ainsi, le taux de propriétés tend-il à diminuer chez les primo retraités en Île-de-France, ce qui n’est pas le cas, par exemple, dans les autres régions françaises. Autre observation notable, la solvabilité va être beaucoup plus inégale au sein d’une même génération et les contrastes vont s’accentuer entre l’Ouest parisien et l’Est et le Nord de l’agglomération parisienne. Troisième phénomène, il est celui-ci culturel ; toute une partie de la population issue de l’immigration va arriver à la retraite, ce qui est déjà le cas et va poser question en termes d’accompagnement soit au niveau familial ou au niveau de la collectivité. Voilà, pour résumer les trois phénomènes majeurs qui me semblent intéressants d’éclairer.

Elles sont assez peu productives, mais il y a des solidarités familiales, et des solidarités vis-à-vis de la collectivité, c’est-à-dire un engagement associatif et une forte participation électorale, ils sont donc “dans la place” quelque part.

Y a-t-il selon vous des profils types de retraités ?

Effectivement, vous allez avoir “un premier profil” avec ceux que l’on nomme aujourd’hui « les boomers » qui sont ultra solvables. Ils habitent à Boulogne-Billancourt, dans les bons arrondissements de Paris, ou à l’Ouest de la région Île-de-France, ils vivent majoritairement à deux, ont un taux de résidence secondaire de l’ordre de 40% à 50%, par conséquent ils vivent confortablement et vont, grosso modo, bien vieillir. Parce qu’ils sont deux, parce qu’ils ont été actifs dans leurs vies et qu’en termes de santé et d’exposition aux risques et aux conditions de travail difficiles, ils ont été plutôt préservés, même stressés.
Un second profil serait plus intermédiaire, on le retrouve en Seine-et-Marne, dans le Val-de-Marne et dans l’Essonne, où l’on est face à des employés, voire des catégories socioprofessionnelles de retraités intermédiaires qui, sur le terrain du vieillissement, vont se situer dans la moyenne.
L’on observe aussi deux autres cas de figures : “le profil populaire” que l’on retrouve chez d’anciens ouvriers et employés, plus exposés aux conditions de travail difficiles, peu solvables, qui vivent généralement seuls et sont plus exposés aux situations de perte d’autonomie, de maladie d’Alzheimer, les statistiques le prouvent.
Enfin, un quatrième profil, celui de l’immigré issu des populations originaires du Maghreb et surtout d’Afrique subsaharienne, surreprésentées dans les quartiers sensibles, qui vont être de plus en plus importants en nombre. Il va donc bien falloir leur apporter des réponses directes ainsi qu’à leurs aidants proches.

La population de 65 ans et plus oscille entre 12% et 18% de la population totale. Un chiffre modeste vis-à-vis de la France métropolitaine où la référence est à 21%.

Quelle est la dynamique du parcours résidentiel de cette population ?

Une première constatation. Lorsque l’on regarde Paris, ou même l’agglo parisienne, les personnes âgées sont sous-représentées dans les logements les plus petits, moins de 40 mètres carrés par rapport à la population totale et ils sont sur-représentés dans les logements de 80 à 120 mètre carrés. Il s’agit de générations qui ont plusieurs enfants, lesquels ont quitté le domicile familial et par conséquent de foyers se retrouvant avec des logements dont la superficie est en moyenne supérieure à celle des familles actives. Ce paradoxe se retrouve de manière très prononcée en ville, c’est-à-dire, en moyenne davantage de superficie et de pièces par habitant. C’est également le cas dans le parc social. Mais allez dire à une personne ou à un couple qui a élevé ses enfants de partir de son logement pour en trouver un autre, avec maximum deux chambres, reste toujours très délicat. Tout bonnement parce que l’habitat est une question d’identité, d’attachement et de liens affectifs. À mon avis, mieux vaut ne pas trop toucher ce domaine et rester prudent. En revanche, le problème reste éminemment sensible pour les jeunes générations et les personnes qui sont sur le marché du travail où les tensions en matière de logement et d’accès à la propriété sont fortement sous tension.

Y-a-t-il là un malaise ?

Clairement ! Et si vous ajoutez à cette situation les plateformes de logements comme Airbnb, le phénomène de malaise s’amplifie. Pour ma part, je n’ai pas étudié la vacance de logements mais le sujet serait intéressant à creuser sur Paris. Mais venons-en au vieillissement proprement dit. Sachant qu’une personne âgée sur 5 ayant 80 ans ou plus est dépendante, on peut avancer que globalement le vieillissement se fait de manière plutôt harmonieuse. Néanmoins, pour une partie plus importante, l’on constate une perte d’autonomie, voire des souffrances liée à la maladie. Ce constat suppose des aides techniques au domicile, mais elles ne peuvent être efficaces que jusqu’à un certain temps, beaucoup moins lorsque cela nécessite un accompagnement H24. En termes de sécurité cela peut poser de gros soucis. Par conséquent, il faut prévoir des adaptations de la résidence principale ou entrer en maison de retraite. Sachant que ces deux leviers ne sont jamais préparés par les personnes elles-mêmes. Je pense qu’à l’avenir ce type de situation peut bouger, mais la plupart des personnes âgées attendent le mur.

Que disent les statistiques à ce sujet ?

Seulement 16 % des personnes âgées entrent en maison de retraite par choix, ce qui veut dire que vous avez quand même 84% qui le font “par défaut” ! Nous sommes en permanence confrontés à ce phénomène d’impréparation à la longévité, puis à tous ses enjeux de la perte d’autonomie.

Le périurbain va se maintenir à un faible taux de personnes âgées. En revanche, Paris intra-muros va connaître une croissance de leur nombre.

Pour conclure nos échanges, cette question : « C’est quoi bien vieillir en ville demain c’est-à-dire en 2030, 2040, 2050 ? Et pour vous, géographe, comment imaginez-vous les choses ?

Bien vieillir… Pour ma part, c’est avoir un habitat qui soit un minimum adapté ou adaptable. Ensuite c’est repenser la ville c’est-à-dire avec des rampes, des ascenseurs, du mobilier urbain et des transports en commun idoines. À mon avis, c’est une bonne piste pour intégrer les personnes âgées et bien vieillir sur place, mais ce n’est pas tout. Il conviendrait également de revoir la répartition des services et des commerces dans l’espace urbain. La question ne se pose pas à Paris mais dans le périurbain saturé de zones commerciales, or c’est sur ces territoires que se projettent les nouvelles polarités. Les commerces jouent un rôle prépondérant dans le lien social et ils font défaut dans les centres-bourgs, espaces en déprise. En réalité c’est un tout que les urbanistes et les architectes vont devoir prendre en compte dès maintenant.

Interview réalisée le 11 novembre 2019 Maison de l’architecture Île-de-France par Guillaume Sicard