Image du podcast
Sophie : La liberté d'avoir le temps
Description du podcast
Préservant farouchement son indépendance, Sophie interagit aussi beaucoup avec les autres. Elle considère l’espace comme une bulle non exclusive. Son chez-soi, qu’elle a partitionné en sous espaces appropriables, s’étend à son immeuble, car elle a tissé des relations fortes avec son voisinage. Son territoire est relativement réduit : elle fait tout à pied pour se maintenir en forme. En s’installant à portée de 5 lignes de métro et de bus, elle a fait le choix d’être une destination pour ses proches. Elle ne subit pas, elle choisit.
- Par Meriem Chabani & Guillaume Sicard
- Le 15 septembre 2019 à Paris XI (75 011)
- Photographie : Olivier Leclercq Édito : Michèle Leloup Montage : Valentin Brion Musique - Ezechiel Pailhès Label - Circus Company
Écouter le podcast
Contenu du podcast
Portrait
- :
→ Vieillir sans contrainte, dans une bulle qui reste ouverte aux autres.
- :
→ Vivre seule pour préserver ses marques et sa propre temporalité.
- :
→ Vivre à proximité des autres, mais pas avec les autres.
- :
→ S’installer dans le centre pour devenir une destination pour les autres.
- :
→ Ne garder que l’essentiel, ne pas encombrer son espace pour se sentir libre.
- :
→ Réduire ses mètres carrés, pour créer une atmosphère intime et évolutive.
Logement
- Surface:
75 m²
- Étage:
3ème étage
- Ascenseur:
Oui
- Nombre d'occupants:
1+1 à mi-temps
- Quartier:
République, 75011
Paris intra-muros - Centralité:
À 300m du métro
Lignes 3 / 5 / 8 / 9 /11
Plan
- :
1 Coin nuit
- :
2 Coin activités
- :
3 Coin invités
- :
4 Coin lecture
- :
5 Coin cuisine
- :
6 Coin rangement
- :
7 Point d’eau
Retranscription entretien
La question du parcours résidentiel interroge l’histoire personnelle de chacun d’entre nous et les lieux de vie qui nous ont vu grandir du premier logement au dernier. Sophie, pouvez-vous nous raconter votre expérience en la matière ?
Le premier souvenir était un appartement parisien près de la place du Trocadéro, rue Saint Didier. Très grand, avec des couloirs, des stucs partout et des bouches de chauffage en cuivre qui sortaient du parquet où je m’asseyais juste à côté. Il y avait une bibliothèque, du feu dans la cheminée en général, un grand et un petit salon. C’était vraiment un appartement Balzacien qui me paraissait très grand.
Et votre première expérience sans vos parents ?
Au début, j’ai occupé un studio quand je me suis mariée et puis très vite nous avons eu un appartement de 3 pièces.
Était-ce à Paris ?
Dans le 15e arrondissement.
Comment était ce quartier il y a 20 ou 30 ans ?
Ce n’était déjà pas terrible. Puis, en 1975, j’ai repris la maison d’un couple d’amis qui déménageait, elle se situait le long de l’ancienne petite ceinture déjà désaffectée.
Combien de temps y êtes-vous restée ?
37 ans ! C’était une vraie maison, avec une cour où l’on garait la voiture. Depuis notre perron l’on voyait les voisins qui passaient avec leurs enfants. C’était en réalité un petit village, nous nous connaissions tous, il y avait une dizaine de pavillons la plupart sur trois niveaux, ils étaient relativement modestes à l’époque contrairement à ce que c’est devenu aujourd’hui.
C’est une sorte de ruche, on se croise en pyjama dans l’escalier en allant chercher du beurre chez le voisin.
Quelle est la surface de l’appartement dans lequel nous nous trouvons actuellement ?
Oh, c’est petit ! La surface est de 73 ou 74m² si vous comptez la profondeur des fenêtres.
Y vivez-vous seule ?
J’y vis à mi-temps avec mon mari. Nous nous connaissons depuis 25 ans et nous avons toujours vécu séparément, mais nous sommes souvent ensemble. On s’est marié, mais nous n’avons pas changé nos habitudes.
Comment vivez-vous au quotidien avec deux appartements ?
Chacun son affaire et son toit !
Est-ce un choix délibéré ?
Ah oui !
A votre âge, avez-vous envie de changer de mode de vie ?
Ah non, pas du tout !
Et demain, comment feriez-vous si vous deviez quitter cet appartement pour en prendre un seul à deux ?
Je ne le quitterai pas.
Vous vous voyez rester, ici, ad vitam æternam ?
Non, pas forcément ! Si un jour je trouve quelque chose qui correspond à ce dont j’ai besoin, à ce moment-là, peut être ! Mais là, je n’ai pas envie. J’ai plein d’amis dans l’immeuble. C’est une sorte de ruche, on se croise en pyjama dans l’escalier en allant chercher du beurre chez le voisin. Nous ne sommes pas tous du même âge, la voisine du dessous, à la retraite elle aussi, a six mois de moins que moi. J’aime bien vivre de cette manière, quand Gérard n’est pas là, on se fait des dîners de filles avec la voisine du dessus.
Je pense qu’en changeant de lieu, on change d’habitudes.
Vous vous connaissez tous ?
Avec mes voisines, nous nous sommes connues quand je suis arrivée grâce à mon chat Barnabé. Il faisait la gueule parce qu’avant il habitait une maison avec une chatière et pouvait aller et venir à sa guise. Un jour, la litière à la main, j’ai croisé ma voisine du dessous que je ne connaissais pas, elle travaillait encore et m’a dit : « Si vous voulez, je peux garder votre chat quand vous partez ”. C’est ainsi que nous sommes entrées en contact. Elle connaissait un peu Sophie, 55 ans, qui habite au cinquième. Depuis, nous partons en vacances ensemble et partageons plein de choses. Récemment, j’ai été hospitalisée et quand je suis rentrée, l’une avait préparé un dîner et l’autre m’avait fait des courses pour la semaine. C’est ainsi que cela se passe…
Si vous étiez amenée à déménager, est-ce que vous auriez envie de le faire seule, à deux ou à plusieurs ?
Non seule ! Je pense qu’en déménageant, nous changeons nos habitudes et par la force des choses on ne vit pas comme avant.
C’est ça qui est bien à Paris : c’est qu’on peut mener sa vie.
C’est quoi vos habitudes aujourd’hui, votre quotidien, vos rituels ?
Je vais au cinéma le matin à 9h30, parce qu’il y a personne, j’adore ! Je vais également au théâtre, à l’Opéra et j’ai des abonnements, j’aime bien ça ! J’y vais quelquefois avec ma voisine du dessous, sinon avec d’autres personnes, ce n’est pas tout le temps les mêmes. L’avantage de vivre à Paris est de mener la vie qu’on veut. Hier, j’étais au mariage de l’une de mes anciennes copines, un peu plus jeune, que j’ai rencontrée à une autre période de ma vie, ces connaissances d’hier et d’aujourd’hui se rencontrent parfois mais pas forcément. Vivre seule est important, cela permet de se situer spatialement et de prendre ses marques avec les uns et les autres.
Vous disiez à l’instant que changer d’appartement, c’est changer ses habitudes, en avez-vous fait l’expérience ici ?
Oui, parce que ma maison était trois fois plus grande !
J’ai apporté des choses qui me semblaient être fonctionnelles ici.
Qu’avez-vous gardé de ce passé ?
Je me suis débarrassée de beaucoup de choses. D’abord de mes livres et notamment ceux dont je me suis occupée durant 40 ans. J’ai tout viré, enfin presque! Derrière l’ascenseur, il y a une pièce dans laquelle nous remisons des meubles et des bouquins, j’en ai beaucoup laissé sur les deux étagères et j’en ai donné également. En fait, je ne suis pas très sentimentale, je n’ai gardé que l’essentiel, du moins ce qui me semblait être fonctionnel dans ce nouvel appartement.
À part les carreaux de ciment de la cuisine, y a-t-il d’autres éléments de l’ancienne maison présents ici ?
Il y a quelques meubles, mais peu, j’ai besoin d’espace pour respirer. Mes rangements consistent à virer un maximum de choses plutôt que d’en faire rentrer dans la maison. À la campagne c’est pareil, d’autant que cette maison acquise il y a 20 ans, avant ma retraite, est toute petite.
En fait, vous pourriez changer d’appartement mais pas de maison de campagne ?
Je ne sais pas !
La question ne s’est-elle jamais posée ?
Non ! Et je ne peux pas y penser de façon intellectuelle. Si un jour la question se pose, ce sera pour des raisons pratiques, financières ou autres. La campagne c’est bien pour accueillir les petits-enfants, ils sont contents et ce n’est pas compliqué. Mais je ne veux pas vivre que pour mes petits-enfants non plus ! Les premiers sont arrivés il y a 21 ans, je n’avais pas le même âge, mon énergie d’aujourd’hui je la garde pour moi. Je veux bien m’y consacrer mais pas entièrement. J’ai acheté cette maison de campagne à un endroit où j’allais en vacances depuis très longtemps ayant des amis dans le hameau, mais les gens vieillissent et disparaissent… Quand il n’y aura plus personne de ma connaissance aurai-je encore envie d’y aller ? Je ne sais pas.
Mon énergie d’aujourd’hui je la garde pour moi
Ce qui semble compter pour vous ce n’est pas tant le lieu que son entourage. Ici même, vous évoquez vos voisins plutôt que la taille de l’appartement. Est-ce important pour vous ?
Quand vous habitez une maison ou un appartement c’est différent, les relations avec les voisins ne sont pas les mêmes. J’avais un peu peur au début de m’installer en appartement, d’où les liens de proximité qui se sont noués ici avec mes voisins.
Passer d’un habitat horizontal à un autre vertical, quelle est selon vous la différence ?
Je ne sais pas. C’est une autre façon d’être. Il y a pas de “mieux” ni de “pas bien”. Pour ma part, j’ai beaucoup aimé vivre dans une maison, parce qu’avec les enfants c’était pratique, même s’il fallait monter les escaliers et les descendre. Mais j’ai bien aimé.
À cette époque, vous rencontriez vos voisins dans la cour commune…
Plus exactement dans l’impasse que nous partagions et où nous garions nos voitures. Cet espace extérieur nous était commun, alors qu’ici, à l’intérieur de notre immeuble nous partageons l’escalier et les paliers, c’est complètement différent.
Je me disais que je bougerai moins donc il fallait que j’aille dans un endroit où ça bougeait autour en vieillissant.
Qu’est ce qui vous a fait choisir cet appartement ?
En raison d’un mal aux genoux persistant, je ne pouvais pas envisager de vivre dans un endroit qui n’ait pas d’ascenseur !
Et pourquoi ici ?
Je pensais qu’en vieillissant je serai moins mobile, j’avais donc besoin de vivre dans un quartier animé par conséquent j’ai choisi d’être plutôt dans Paris. Depuis, il y a eu les attentats du Bataclan et des manifestations assez nombreuses, pour bouger, ça bouge ! En outre, je suis à portée de cinq lignes de métro et de bus, mes petits-enfants peuvent venir en ligne directe, ce détail là compte beaucoup évidement.
Rétrécir son espace, avoir un contenant qui n’est pas trop grand.
Dans votre idée, vous souhaitiez être plus centrale ?
En tous les cas, l’idée était que mes petits enfants puissent venir me rendre visite facilement et inversement, j’ai trouvé cela pratique. Un jour où il pleuvait et que je me trouvais aux Abbesses, je me suis abritée sous le dais d’une agence immobilière, il me fallait trouver un lieu de vie rapidement ma maison s’étant vendue en une demi-journée. Je suis entrée en expliquant mon cas et l’on m’a tout de suite proposé de visiter un appartement qui venait de se libérer. Le rendez-vous était pris le lendemain. J’ai tout de suite été séduite par le côté vieillot de cet appartement avec ses carreaux noirs et blancs dans l’entrée, il avait l’air un peu décati à l’image du théâtre des Bouffes du Nord, il y régnait cette atmosphère que l’on trouve dans les films italiens des années 1950, bref, ça m’a plu. Les anciens propriétaires avaient laissé une bûche dans la cheminée et cela m’a définitivement emballée même si j’aurais aimé avoir une pièce de plus. Reste que l’essentiel y était ; une chambre sur la cour, une salle de bain, un grand dressing, une cheminée, des carreaux dans l’entrée, le tout au cœur de Paris, avec des stations de métro à proximité. Alors j’ai signé sur le champ.
Que vous aurait offert une pièce supplémentaire ?
Je l’aurais peut-être aménagée en chambre d’appoint. Parce que mes amis qui habitent en province ou à l’étranger aimaient beaucoup ma maison du 14ème arrondissement où ils avaient leur chambre avec une salle de bains. Et c’est vrai que j’aimais bien les accueillir confortablement les quelques jours où ils venaient me voir. C’était des copines ou des amis de longue date, je leur donnais une clé de sorte qu’ils menaient leur vie et moi la mienne, j’aimais bien. Tous ont beaucoup regretté cet endroit et moi aussi. L’avantage d’une pièce en plus aurait aussi pu servir de bureau avec un lit pour mes hôtes ou pour mes petits-enfants. Aujourd’hui, ils dorment sur le canapé du salon et ne s’en portent pas plus mal, comme quoi ! Le fait de vieillir est souvent lié au rétrécissement de son espace, l’idée d’avoir un contenant commode et pas trop grand est une question d’équilibre ou de gestion de l’espace sans doute. J’ai besoin d’avoir un endroit qui ne m’impose pas de contraintes contrairement à ma précédente maison qui nécessitait un entretien permanent en raison de sa surface. À la campagne, je n’ai que 53 mètres carrés, quand j’y vais seule ou avec mon mari, je me sens bien c’est suffisant. C’est un peu à l’image d’une paire de chaussures dans laquelle on se sent vachement bien.
C’est une bulle quoi !
Certes, mais c’est une bulle ouverte et non exclusive, en outre elle ne me pèse pas car elle n’est pas envahie d’objets. Je ne sais pas comment vous faites, mais moi, plus j’ai de place, plus je m’étale !
C’est une question d’énergie dont j’ai envie de profiter pour faire ce qui me plait.
Votre propos est de réduire votre espace pour ne garder que l’essentiel. Est-ce plus rassurant finalement ?
Cette histoire de garder l’essentiel s’accorde aussi aux personnes. À un certain âge, on fait le tri parmi les gens que l’on a fréquenté toute sa vie, au bout d’un moment, les relations s’effilochent. C’est aussi une question d’énergie, je veux préserver la mienne afin de profiter et de faire ce qui me plait, c’est-à-dire, garder mes petites-filles, me balader avec mon mari Gérard, mais faire aussi plein d’autres choses, question de rythme, c’est ainsi que je le ressens.
Dans une journée, passez-vous plus de temps à vivre à la maison qu’à l’extérieur ?
Tout dépend des jours. Il y a ceux où je suis contente quand j’ai des choses à faire dehors et d’autres où j’aime bien être à la maison aussi, c’est difficile à dire. Cela dépend du temps qu’il fait, de mon état et si j’ai envie de sortir ou pas.
Il y a un effet miroir qui est quand même pas agréable.
Votre emploi du temps n’est donc pas organisé, seriez vous du genre à être spontanée ?
Oui, je me fais confiance sur ce plan-là !
Aimez-vous l’idée d’avoir une routine Sophie ?
Une routine ? Non. Contrairement à beaucoup de retraités qui trouvent cela formidable, je ne supporterais pas d’adhérer à des groupes de lecture, de couture ou de peinture. Alors, là, moi je meurs !
Les croisières sur les paquebots ne sont donc pas faites pour vous ?
En effet, surtout avec conférenciers, concerts et parties de bridge !
Préférez-vous vieillir avec des jeunes ?
Pas forcément parce que nous avons des rythmes différents !
La question est d’être seule ou en groupe plutôt qu’entourée de quelqu’un de votre âge ?
Oui parce qu’être entre personnes du même âge produit un effet miroir qui n’est quand même pas agréable, vaut mieux donc oublier. Par ailleurs, je n’ai jamais aimé les colonies de vacances ni la vie en groupe, en revanche j’ai toujours vécu dans des groupes choisis, comme par exemple avec mes copines de classe que je continue à fréquenter en allant en province ou ce sont elles qui viennent à Paris.
J’appellerai Rem Koolhaas.
A quoi ressemblerait votre maison idéale ?
Si je devais inventer une maison je ferais appel à l’architecte néerlandais Rem Koolhaas en lui proposant de réaliser une sorte de cabane en verre de 5 000 mètres carrés dans mon jardin avec une très jolie vue sur la rivière !
En fait, vous aimeriez une œuvre architecturale ?
Effectivement, pour autant, je lui donnerais mon avis, le but étant de lui soumettre mes idées pour qu’il les traduise en imaginant une mise en œuvre par des matériaux privilégiant la transparence.
Pour clôturer cet échange, nous vous proposons un petit jeu, celui d’un échange rapide de questions/réponses. Tout d’abord, est-ce que vous pouvez nous dire à quoi ressemble votre vendredi soir idéal ?
Le vendredi soir idéal est d’aller avec mes copines dans un restaurant du coin, sinon je ne fais rien.
Etes-vous ville ou campagne ?
Pour vivre ? La ville.
Seule ou en groupe ?
Seule mais accompagnée.
Piscine ou marche à pied ?
Marche à pied.
Lecture ou télévision ?
Je me suis offert ma première télévision pour mes 70 ans !
Alors vous êtes plutôt lecture ?
Ah oui, lecture.
À la maison, quel est votre lieu préféré ?
Dans ma maison du 14ème, c’était ma cuisine, tout se passait dans cette pièce bien qu’elle n’était pas très grande. Ici, ça dépend pour quoi faire, en général j’y fais du bricolage parce qu’il y a de la place.
Et pour lire par exemple ?
Le canapé.
Et pour rêver ?
Le canapé.
Et pour dormir ?
Le lit, mais le canapé aussi, cela peut m’arriver…
Merci Sophie pour cet échange chez vous, nous allons maintenant déguster votre gâteau !