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Yvette déménage
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Élus #2

Jean-Luc Laurent - Un réseau des villes aidantes

Description du podcast

Jean-Luc Laurent est maire du Kremlin-Bicêtre, fonction qu’il a déjà occupée de 1995 à 2016. Il a été député de la 10e circonscription du Val-de-Marne, président de l’établissement public foncier d’Île-de-France, et vice-président de la région Île-de-France chargé du logement et de l’action foncière.

  • Par Alexandre Sfintesco & Guillaume Sicard
  • Le 5 septembre 2020 à la mairie du Kremlin-Bicêetre (94 270)
  • Photographie : Olivier Leclercq Édito  : Michèle Leloup Montage : Valentin Brion Musique - Ezechiel Pailhès Label - Circus Company

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Contenu du podcast

Retrouvez l’analyse de l’entretien avec Jean-Luc Laurent,
dans l’ouvrage du Printemps de l’Hiver.

Luter contre l’isolement des personnes âgées
• Penser la place des soignants dans la ville
• Vers un habitat adapté
• Irriguer la ville, penser les mobilités

Retranscription de l’entretien

Tout d’abord, monsieur Laurent, comment allez-vous ? Comment avez-vous vécu cette période particulière à titre personnel ?

Je vais bien. J’ai vécu dans des conditions, je dirais, idéales par rapport à nombre de mes concitoyens, puisque j’ai la chance d’habiter un pavillon au Kremlin-Bicêtre, avec un petit jardin. Mais je pense, et je pensais durant toute cette période, aux Kremlinois, qui vivent dans des logements contraints par une petite surface au regard de la taille de leur famille. Et je sais, pour les avoir croisés en faisant quelques courses dans le quartier, que beaucoup d’entre eux ont connu des difficultés.

Nous avons une population de seniors en augmentation. Au 1er janvier 2020, près de 18 % de nos habitants avaient entre 60 et 74 ans. Et la tranche d’âge au-delà de 75 ans augmente elle aussi. Ceci est lié à l’allongement de la durée de vie évidemment, ce qui est un bonheur, mais il faut que la ville s’adapte, se renouvelle, et prenne en compte les difficultés venues de la pandémie.

Le sujet qui nous rassemble aujourd’hui est celui des seniors. Intuitivement, nous avons l’idée, avec Le Kremlin-Bicêtre, d’une ville relativement jeune, par rapport à son département. 42 % de votre population a moins de 30 ans et 65 % de ses ménages ont emménagé dans les dix dernières années. Quelle est la place des seniors au sein de la pyramide des âges de vos administrés ? Comment cette population s’intègre dans votre ville ?

La ville est effectivement en perpétuel mouvement. Nous avons une population plus jeune que la moyenne départementale et plus jeune que la moyenne régionale. J’y ajoute le prix du foncier, sujet qui intéresse les architectes. Il est plus avantageux — même si cela reste cher à mes yeux — de s’installer au Kremlin-Bicêtre que dans le 13e arrondissement de Paris. Ici, beaucoup d’habitants vivent dans un appartement en location ou en colocation. Cette situation démographique représente d’ailleurs un défi pour notre ville dans l’idée de sédentariser cette population jeune et de bâtir des parcours résidentiels.

À l’autre extrémité du spectre, nous avons aussi une population de seniors en augmentation. Au 1er janvier 2020, près de 18 % de nos habitants avaient entre 60 et 74 ans. Et la tranche d’âge au-delà de 75 ans augmente elle aussi. Ceci est lié à l’allongement de la durée de vie évidemment, ce qui est un bonheur, mais il faut que la ville s’adapte, se renouvelle, et prenne en compte les difficultés venues de la pandémie. Pour les personnes âgées, la solitude, l’isolement, l’angoisse de l’avenir, le fait de ne pas pouvoir sortir de chez soi représentent des difficultés encore plus importantes dont il faudra tenir compte à l’avenir.

Il y a de la solidarité, bien sûr, publique, familiale ou de voisinage. J’ai pu le constater durant le confinement et le déconfinement. Sans doute est-ce lié aussi au fait que notre ville compte 95 % d’habitat collectif.

Constatez-vous des liens intergénérationnels dans votre commune ?

Il y a de la solidarité, bien sûr, publique, familiale ou de voisinage. J’ai pu le constater durant le confinement et le déconfinement. Sans doute est-ce lié aussi au fait que notre ville compte 95 % d’habitat collectif. Les gens peuvent se croiser, prendre l’escalier ou l’ascenseur pour aller voir un voisin ou une voisine. Cela est plus aisé que dans le cadre d’un habitat morcelé, fait essentiellement de pavillons ou de maisons individuelles.

Vous pensez que l’habitat collectif entraîne plus de partage ? Pourtant en ruralité on connaît mieux ses voisins qu’en zone urbaine.

C’est ambivalent, mais il y a des habitants qui font ces efforts de connaître leurs voisins. Pour une raison importante, et qui nous rapproche peut-être du monde rural : au Kremlin-Bicêtre, on vit plus longtemps dans son logement. Ce qui sous-entend aussi des difficultés dans le parcours résidentiel. On ne déménage pas comme on l’aimerait. En ce moment, beaucoup d’habitants sont contraints et diffèrent des évolutions de vie. J’observe d’ailleurs qu’il y a très peu de mutations. C’est dans ce cadre que la solidarité de voisinage et la solidarité publique doivent se manifester. Nous l’avons déjà expérimenté avant l’épidémie de Covid-19, à l’occasion de la canicule de 2003 durant laquelle nous avions mis en place un programme de contact régulier avec les personnes isolées et les personnes âgées. Il s’agissait de les aider dans leurs démarches et dans leurs courses du quotidien, mais aussi, pour la mairie, d’effectuer des appels de courtoisie. Nous avons réenclenché ce plan durant la crise sanitaire en y ajoutant la livraison de courses, de repas à domicile et des visites régulières.

La solidarité de voisinage et la solidarité publique doivent se manifester. Nous l’avons déjà expérimenté avant l’épidémie de Covid-19, à l’occasion de la canicule de 2003 durant laquelle nous avions mis en place un programme de contact régulier avec les personnes isolées et les personnes âgées. Il s’agissait de les aider dans leurs démarches et dans leurs courses du quotidien, mais aussi, pour la mairie, d’effectuer des appels de courtoisie. Nous avons réenclenché ce plan durant la crise sanitaire en y ajoutant la livraison de courses, de repas à domicile et des visites régulières.

Nous venons d’évoquer la jeunesse, les personnes plus âgées, la solidarité qui s’exprime dans votre ville. On sait aussi que Le Kremlin-Bicêtre est une commune au sein de laquelle est implanté un hôpital très important, premier employeur de la ville, qui représente 15 % de votre territoire. Avez-vous des suggestions pour que les logements prennent en compte cet état de fait ?

L’une des grandes leçons tirées par l’ensemble des acteurs publics — grâce d’ailleurs au monde de l’architecture, aux démographes, aux analystes, aux sociologues… — c’est bien de rapprocher logement et emploi.

À l’occasion d’une réhabilitation d’un ensemble immobilier, je me suis essayé par le passé à demander à l’Assistance publique des hôpitaux de Paris (APHP) la réservation d’un certain nombre de logements pour le personnel hospitalier. Cela fait des années que les agents hospitaliers se plaignent de la distance entre leur logement et leur lieu de travail. Infirmières et infirmiers, aides-soignantes et aides-soignants constituent souvent un public jeune et l’éloignement leur crée des difficultés dans leur vie familiale. Malheureusement, à l’époque, je n’avais pas réussi à convaincre l’APHP. Je continue de penser qu’il va falloir apporter une réponse. En tant que maire, j’ai toujours la volonté de réaliser ces logements pour le personnel soignant au sein d’ensembles immobiliers que nous pourrions réaliser.

En tant que maire, j’ai toujours la volonté de réaliser ces logements pour le personnel soignant au sein d’ensembles immobiliers que nous pourrions réaliser.

Par le passé, vous avez aussi été député et président de l’EPFIF. Selon vous, quelles politiques de la ville devrait-on appliquer à un niveau régional ou national ?

Vous devez avoir en tête que, jusque dans un passé très récent, chacun se renvoyait la balle, l’État d’un côté, les élus locaux de l’autre. Pourquoi ? À mon avis, faute de boîtes à outils.

Aujourd’hui les boîtes à outils existent. Il suffit dorénavant que la volonté soit au rendez-vous. Vous avez rappelé la création de l’Établissement public foncier d’Île-de-France. J’ai toujours considéré qu’il fallait agir pour lever les obstacles de la maîtrise foncière et mobiliser du foncier au profit des intérêts généraux. Cela permet d’endiguer l’explosion du prix du foncier, même s’il reste encore élevé. Cela permet de mobiliser du foncier à prix coûtant. Autrement dit, on achète lors d’une année X et il sera revendu à X+1, X+2, X+3, X+4 ou +5, au même prix que le prix d’achat. Ce n’est pas rien comme outil pour des politiques publiques que les maires peuvent conduire à l’échelle de l’agglomération.

Le temps de la volonté est venu. Il faut que les maires puissent se mobiliser. Ce que je dis ici est valable pour l’hôpital du Kremlin-Bicêtre, mais il y a sur le territoire, au Sud parisien, un pôle de santé qui est très important et qu’il faut confronter avec des politiques publiques. J’espère qu’on pourra avancer, peut-être en créant un réseau des villes hospitalières afin de mieux répondre à des besoins insatisfaits aujourd’hui et qui seront nécessaires demain.

En ce qui concerne l’avenir, il faut tenir compte de l’allongement de la durée de vie, tenir compte de la nécessité d’accompagner le « bien vieillir » au domicile. Il y a un enjeu de structure publique. J’ai d’ailleurs en tête de réaliser une résidence pour personnes âgées dans la commune qui serait une structure publique apportant une offre supplémentaire. Et puis, il y a un enjeu majeur : l’accompagnement au domicile, en adaptant les logements. Il y a un énorme travail à faire sur les salles de bains, la transformation de baignoires anciennes en douches, la mobilisation des crédits pour que cela ne pèse pas sur le budget, souvent modeste, des retraités. Bien vieillir chez soi, cela veut dire de faire en sorte d’accompagner les personnes âgées pour qu’elles vivent plus longtemps chez elles dans de bonnes conditions. Cela veut dire demeurer dans son quartier tout en gagnant en accessibilité ; accessibilité grâce aux ascenseurs ou accessibilité du point de vue du confort intérieur. Éventuellement, on peut les aider à déménager, mais toujours à proximité afin qu’elles ne quittent pas leur réseau de voisinage.

J’espère qu’on pourra avancer, peut-être en créant un réseau des villes hospitalières afin de mieux répondre
à des besoins insatisfaits aujourd’hui et qui seront nécessaires demain.

Le social représente 36 % du parc de logements du Kremlin-Bicêtre. Est-ce que ce n’est pas justement aux acteurs du logement social de montrer que tout ceci est possible ? Quelle est la position du maire, de l’élu au sens général, sur la question du parcours résidentiel ? Après tout, le logement social a été affecté il y a dix ou vingt ans à des populations qui ont vieilli. L’histoire d’une ville a pu changer durant ce temps. On constate aussi que le parc social est souvent occupé par des familles monoparentales. Ces logements sont peut-être devenus trop spacieux au regard de l’entité familiale qui les occupe.

Je partage ce constat. Un certain nombre d’acteurs sociaux doivent faire un effort, dans la mesure où le logement social n’est pas conditionné à un bail 3-6-9, mais à un bail à durée indéterminée. Il faut donc être attentif aux personnes qui vivent dans le parc social. Elles demandent rarement spontanément à changer de logement, par crainte de changer de quartier, de quitter leur univers habituel ou de payer un logement plus cher.

Notre parc est vieillissant, il y a des efforts de réhabilitation à faire. En ce qui concerne les personnes âgées, il y a aussi un effort à faire pour que les politiques publiques leur permettent de conserver leur mode vie, en adaptant les logements ou en les accompagnant pour en changer. Certaines d’entre elles vivent parfois dans des logements trop grands. Elles y ont emménagé avec leurs enfants, mais leur famille a évolué, leurs enfants sont partis, ont construit leur vie ailleurs. Elles demeurent pourtant dans leur T4 ou leur T5.

Malgré tout, on ne part pas de rien. Un travail est fait depuis des années en ce sens, mais il faut l’amplifier. D’abord par un dialogue avec les occupants, les locataires, pour leur proposer des logements plus adaptés en termes de confort intérieur, plus adaptés en termes de mobilité réduite. Il faut faire en sorte qu’il y ait des ascenseurs. Car il n’y a pas d’ascenseur partout, ce qui veut dire qu’il faut parfois leur proposer de déménager à proximité. Il y a un travail à faire au cas par cas. C’est ce travail que nous devons engager. Je pense qu’il faut revenir à l’idée que l’habitat social est le moyen de l’innovation : innovation architecturale, innovation en matière de normes environnementales et innovation sociale en accompagnant les personnes qui aspirent à bien vieillir chez elles. Il y a un défi dans ce domaine. Il faut mobiliser d’autres acteurs de la ville, pas uniquement ceux du logement social, mais aussi ceux que l’on appelait il y a quelques années les « zinzins », les acteurs institutionnels, ceux de l’assurance notamment, acteur institutionnel national qui avait été invité à investir dans les logements dans les années 1970-80.

J’y ajouterai le défi qui s’exprime aujourd’hui à travers l’épidémie de Covid-19 et change notre rapport à la vie et à la ville. On doit en tirer des enseignements qui doivent permettre de développer des politiques d’adaptation, pas de l’habitat, mais de la ville. Par exemple, les circulations, qui doivent être mieux adaptées, les cheminements piétons, les transports en commun… Au Kremlin-Bicêtre, nous avons développé il y a quelques années un système de navette auquel je tiens. Il s’agit d’une offre de transport gratuit permettant de rejoindre des quartiers non desservis par les bus. Car la RATP ne va pas dans les quartiers les plus isolés. C’est donc à la puissance publique de prendre le relais. Je constate que cela permet aux personnes âgées de sortir de chez elles. Sortir de chez soi est extrêmement important lorsqu’on est âgé. Et pas seulement pour marcher, surtout que notre ville a une topographie particulière. Je pense aussi aux habitants des quartiers sud, où j’habite, où il y a peu de commerce, où il faut cheminer.

En ce qui concerne l’avenir, il faut tenir compte de l’allongement de la durée de vie, tenir compte de la nécessité d’accompagner le « bien vieillir » au domicile. Il y a un enjeu de structure publique.

Vous venez d’évoquer la question de l’organisation spatiale et territoriale de la ville. Envisagez-vous des aménagements urbains, des organisations en lien avec la population vieillissante ?

Oui évidemment. Car la ville est contrainte. Vous avez évoqué l’hôpital, le Fort de Bicêtre… La ville du Kremlin-Bicêtre s’étend sur 154 hectares. 30 % de ces espaces sont sous l’emprise de l’hôpital et du Fort. Il reste 100 hectares pour l’habitat, la vie sociale et la vie économique. Qui plus est, avec une topographie particulière. Ici, à la mairie, on est sur le bas de la ville, mais il y a le haut… Il faut donc repenser la ville à l’échelle de l’évolution des populations, du vieillissement. Cela veut dire qu’il faut la concevoir un peu différemment, la concevoir pour l’avenir, en prenant en compte la mutation de certains quartiers.

On a peu d’espace disponible. Par conséquent, des endroits vont devoir muter. Pour d’autres, ce ne sera pas possible, mais des espaces publics devront être repensés, réorganisés pour faciliter le cheminement des personnes âgées et des handicapés. Car je n’oublie pas que nous avons aussi plusieurs établissements de handicapés sur la ville ou juste à proximité. Cela nous oblige à penser la ville en tenant compte de ces différents usages. Par exemple, en ce qui concerne cet établissement public pour retraités, nous ne devons évidemment pas l’installer aux confins de la ville. Il en va de même pour les étudiants. Nous nous devons de leur offrir une centralité urbaine, de telle sorte qu’ils puissent profiter de tous les services dans les meilleures conditions possible.

Il faut concevoir la ville en organisant son accessibilité. Surtout une ville dense faisant partie d’une métropole comme le Grand Paris ; métropole qui peut mobiliser des moyens en termes de facilités de transport et d’intervention pour implanter des équipements, de telle sorte que la ville permette une solidarité intergénérationnelle. Il faut parvenir à ne plus distinguer le logement social du logement public ou du logement privé. Sur la ville du Kremlin-Bicêtre, on veut développer cette dimension-là dans l’avenir.

Notre parc est vieillissant, il y a des efforts de réhabilitation à faire. En ce qui concerne les personnes âgées, il y a aussi un effort à faire pour que les politiques publiques leur permettent de conserver leur mode vie, en adaptant les logements ou en les accompagnant pour en changer.

Justement Jean Luc Laurent, afin de conclure notre échange, pouvez-vous nous expliquer votre vision du bien vieillir en ville demain ? En 2030, 2040, 2050 ?

Vaste question. C’est rester le plus longtemps chez soi, avec les services d’accompagnement adéquats. Le bien vieillir a du sens. Quand on est chez soi, on peut vieillir dans de bonnes conditions. Cela suppose de mobiliser des moyens d’accompagnement. Cela suppose aussi, je ne l’ai pas évoqué, une transformation dans l’organisation même de la société, son système de retraite, sa solidarité. Bien vieillir le plus longtemps possible, c’est bénéficier des outils de la puissance publique et de l’accompagnement humain. Je n’oublie pas que nous sommes proches d’Ivry-sur-Seine, et de sa Silver Valley qui travaille sur les nouvelles technologies, des innovations en matière robotique qui permettent de mieux vivre plus vieux. Cela suppose aussi que l’on aide nos seniors à accéder à ces services et à ces nouvelles technologies. On a beaucoup de chemin à faire.

Merci beaucoup pour le temps que vous nous avez consacré. Je pense que c’est assez complet et intéressant pour nous de confronter vos propos à ceux des usagers et des experts que nous avons rencontrés. Merci.

Interview réalisée le 5 septembre 2020 à la mairie du Kremlin-Bicêtre par Alexandre Sfintesco & Guillaume Sicard