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Benjamin Aubry - Transformer son pavillon

Description du podcast

Benjamin Aubry est architecte-urbaniste, co-fondateur de iudo, une start-up qui accompagne les propriétaires de terrain dans leurs projets d’autopromotion.

  • Par Meriem Chabani & Guillaume Sicard
  • Le 13 janvier 2020 à la Maison de l'architecture Île-de-France
  • Montage : Valentin Brion Musique - Ezechiel Pailhès Label - Circus Company

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Contenu du podcast

Retrouvez l’analyse de l’entretien avec Benjamin Aubry
dans l’ouvrage du Printemps de l’Hiver.

Un nouveau modèle économique
• Faire évoluer le bâti
• L’émergence d’un habitat alternatif ?
• Valoriser la transmission pour repenser le périurbain

Retranscription de l’entretien

Pouvez-vous nous présenter iudo ?

Nous sommes trois associés architectes urbanistes aux parcours complémentaires au sein de cette start-up que nous avons fondée dans le but de créer un nouveau modèle d’accompagnement des propriétaires désireux de développer des projets d’autopromotion sur leurs terrains. Nous sommes partis d’un constat : la crise du logement. Elle est liée en partie à une crise du foncier, c’est-à-dire au peu de terrains disponibles, notamment dans les zones tendues, là où la demande de logement est très forte.
Parallèlement, il n’y a jamais eu autant de petits propriétaires de terrains dans les zones pavillonnaires. Celles-ci ont connu une grande période de croissance économique au début des 30 glorieuses jusque dans les années 1990 en accueillant une succession de lotissements sur ce qui était des anciens champs, des forêts ou des zones naturelles. Ces territoires vendus à la découpe ont permis à des acquéreurs d’y faire bâtir leur maison. Il est à noter que la très grande majorité de ces propriétaires est à la retraite aujourd’hui ; un sur deux a plus de 55 ans, donc dans 10 ans, à priori tous seront à la retraite. Rien qu’en Ile-de-France, il y a plus de 947km² composés de petites parcelles appartenant à des particuliers.

Est-ce ce constat qui est à l’origine de votre start-up ?

Notre constat partait du fait que ces propriétaires – une maison sur deux est en état de non occupation - se retrouvaient seuls dans leur maison après le départ des enfants. De fait, ce bien laissé en l’état génère de nouveaux besoins, c’est-à-dire des adaptations et pourquoi pas des compléments de revenus. Nous savons que les retraites ne sont pas toujours conséquentes et qu’il existe une vraie problématique par rapport à ce manque de pouvoir d’achat et donc de capacité de financement futur pour améliorer l’habitat actuel. Ensuite, notre but était de faire germer dans la tête de ces personnes l’idée qu’elles pouvaient investir sur leur propre terrain de multiples manières afin d’avoir un complément de revenus, mais pas seulement. Ce type de démarche permet de transformer son bien et éventuellement de préparer sa transmission d’autant qu’une maison individuelle n’est pas accessible par tous, à moins de la diviser en plusieurs appartements ou de faire une petite opération immobilière à céder plus tard à ses héritiers.

Nous savons que les retraites ne sont pas toujours conséquentes et qu’il existe une vraie problématique par rapport à ce manque de pouvoir d’achat et donc de capacité de financement futur pour améliorer l’habitat actuel.

Vous accompagnez donc les futurs candidats à la transformation de leurs biens ?

Exactement. Nous leur apportons notre savoir-faire car ce type de projet requiert une bonne connaissance des problématiques qui y sont liées. À savoir, quels sont mes droits à construire ? Quels sont les possibilités que j’ai en matière de programmation sur mon terrain ? Quels financements ? Est-ce que j’opte pour un prêt ? Est-ce que je vends ou pas ? Notre rôle est de répondre à ces questions-là et de centraliser toutes les informations utiles avant que les intéressés puissent faire un choix.

Quel modèle présentez-vous aux personnes qui viennent vous voir ? Comment amenez-vous l’idée que demain il soit possible de densifier une zone pavillonnaire, ce qui n’est pas forcément dans la culture des intéressés qui vont voir un nouvel occupant sur leur terrain ?

En réalité, nous observons des signaux faibles qui existent déjà dans les quartiers pavillonnaires à commencer par le vieillissement de la population. Mes parents ont été eux-mêmes concernés par ce type de transformation après le départ de leurs enfants puisque mon père a divisé le premier étage de son pavillon en appartements. S’il avait été accompagné, il aurait sans doute pu réfléchir à quelque chose de beaucoup plus ambitieux plutôt que de “bricoler » trois cloisons et construire trois salles de bain. Cette densification du pavillonnaire existe déjà en divers lieux comme en témoigne une étude qui est sortie de l’Institut Paris Région sur le sujet. Elle montre qu’actuellement une grosse partie de la production de logements se fait de façon non planifiée, c’est-à-dire par renouvellement, par division ou par division parcellaire, mais aussi par division des espaces intérieurs des pavillons. Cela peut parfois passer par la démolition et la reconstruction, mais sans que cela soit planifié.

En somme, vous avez étudié ce marché pour y développer une niche ?

Nous pensons qu’il manque un service d’accompagnement dans ces cas de figures et la demande existe. Beaucoup de propriétaires sont conscients du potentiel de leurs terrains, notamment dans l’espace du Grand Paris où la demande de logements est croissante. Reste qu’ils sont tout aussi nombreux à ne savoir comment s’y prendre. C’est tout le sens de notre travail de leur faire des propositions sur mesure en leur proposant différent montage sur le plan juridique, financier et architectural sans faire de la maîtrise d’œuvre pour autant. Disons que nous sommes capables de mesurer en amont la volumétrie d’un bien pour évaluer un coût global de transformation et les conditions de sa mise en œuvre. En d’autres termes nous préparons un cahier des charges qui sera confié à un architecte partenaire et éventuellement à d’autres intervenants.

En réalité, nous observons des signaux faibles qui existent déjà dans les quartiers pavillonnaires à commencer par le vieillissement de la population.

Pensez-vous pouvoir développer une stratégie spécifique à destination des populations vieillissantes ?

Sur ce secteur précis, il y a plusieurs enjeux. En premier lieu, il s’agit du financement, les propriétaires âgés n’ayant pas facilement accès à un emprunt, encore que ce ne soit pas toujours la règle. Un temps, nous avons imaginé de faire des programmes spécifiques, c’est sans doute possible, mais tout dépend du propriétaire, de sa capacité d’ouverture et au partage. Certains préfèrent maintenir leur indépendance en ne visant que le complément de revenu. Notre objectif est de nous adapter à la situation de chacun pour offrir un service à la demande. Pour nous, le vieillissement de la population est l’occasion de penser demain et d’aider ces propriétaires à transmettre leurs patrimoines immobiliers aux futures générations dans un esprit de redistribution.

Selon votre expérience, de quelle manière et à quelle fréquence cet argument de la transmission et de la redistribution est-il présent dans le discours des propriétaires intéressés ?

C’est un argument qui est très présent dans nos échanges avec eux car nous avons à faire à des propriétaires désireux d’anticiper leurs vieux jours et de penser « autrement » à l’héritage qu’ils laisseront à leurs descendance, ce sujet là est en effet très prégnant. De notre côté, nous développons l’idée que les propriétaires peuvent être acteurs dans notre société en construisant eux-mêmes quelque chose de manière durable. Cet aspect social de la démarche est bien perçu par la majorité des propriétaires. Pour autant, nos compétences s’adressent également aux jeunes acquéreurs qui veulent optimiser un bien récemment acheté pour en faire profiter directement leurs propres enfants.

Dans votre modèle, dissociez-vous le droit de propriété du droit du sol ?

Non, à proprement parler, parce que chez iudo nous nous projetons à terme dans l’idée d’aménager les faubourgs de demain où fleuriront des petits immeubles de 2 à 4 logements construits sur l’initiative de propriétaires engagés dans cette optique. Soit, ils louent ces habitats, soit ils les transforment en copropriétés au moment où ils les transmettent en héritage à leurs enfants. Par exemple, si l’on observe la ville de Paris, il y avait autrefois 55% environ d’immeubles de rapport, or petit à petit ils ont été vendus à la découpe, ce qui a permis une redistribution de la richesse. Mais pour l’heure, la problématique est que l’on ne construit pas assez, du moins, n’a-t-on pas assez de logements à disposition. La préoccupation est d’optimiser le parc bâti en se positionnant sur les lieux où les besoins sont importants car on assiste à un manque de l’offre par rapport à la demande. Mais quand nous aurons 10 acquéreurs pour 20 logements, je crains que les prix soient fonction de ce que les gens pourront financer, à savoir leur capacité d’endettement et de financement. Pour ma part, je ne suis pas certain que ce soit la solution miracle pour que l’offre réponde à la demande, il faut s’appuyer sur une vraie analyse du foncier. Sa pénurie s’explique par le fait que depuis plus d’un siècle l’on a consommé outrageusement les terrains en s’étalant démesurément. Il manque de la densité. Le pavillonnaire ne l’est pas assez, il faudrait ajouter quelques étages ici et là sans forcément hyper densifier comme s’évertue à le faire la promotion immobilière. C’est-à-dire tout raser pour construire un maximum de logements par rapport à la capacité du terrain, ou laisser le statuquo, c’est-à-dire que l’on ne fait pratiquement rien. Toute la difficulté est de remettre la ville en dynamique en faisant une vraie analyse du foncier pour savoir exactement à qui il appartient, le sujet étant de stimuler les propriétaires de foncier pour qu’ils créent des logements sans leur demander de vendre leurs terrains et leurs biens pour les démolir ensuite. À mon sens, la solution à la crise du logement devrait aller vers une révélation de la ville telle qu’elle existe afin de la faire évoluer pour « l’augmenter » autrement.

Beaucoup de propriétaires sont conscients du potentiel de leur terrain, notamment dans l’espace du Grand Paris où la demande de logements est croissante. Reste qu’ils sont tout aussi nombreux à ne savoir comment s’y prendre.

Votre modèle permet-il de tester des modes de cohabitation, qu’ils soient intergénérationnels ou non ? Avez-vous eu l’occasion de l’observer, de le mettre en œuvre, et si oui, quelles ont été les difficultés ou les facilités rencontrées ?

En réalité, pas encore. Nous sommes en train de débroussailler le terrain pour déterminer les solutions à apporter. Les propriétaires avec lesquels nous travaillons en sont conscients, les personnes âgées se montrent plutôt enthousiastes à l’idée de servir la société, de faire quelque chose de viable et c’est important pour eux. L’autre aspect est de ne pas tout confondre, ce modèle ne véhicule pas l’idée de soudainement tout partager, ces propriétaires ne sont pas des hippies. Pour nous, le vieillissement de la population est l’occasion de penser demain et d’aider ces propriétaires à transmettre leurs patrimoines immobiliers aux futures générations dans un esprit de redistribution. Nous avons réalisé une exposition qui portait sur l’expérimentation de ce modèle innovant et sur le potentiel de ce marché pavillonnaire qui n’est pas qu’un regroupement d’individualités jaloux de leur espace vital comme le suppose cette nouvelle terminologie « Not in my backyard ». Nous avons démontré qu’une juste proposition d’accompagnement rencontre énormément de personnes prêtes à franchir le pas. Parmi les projets exposés, il y en avait un avec un jardin partagé, à savoir une surélévation d’un garage destinée à réaliser deux appartements à côté des propriétaires qui maintenaient leur propre maison. Cette démonstration a permis de constater que dans ce cas précis chacun préservait son indépendance tout en bénéficiant d’un bout de jardin, les propriétaires étaient enthousiastes et très excités par ce nouveau projet qui dépasse les a priori et redynamise la ville.

Avez-vous observé certaines tendances chez les propriétaires seniors ? Qu’est ce qui est non négociable ? Et au contraire quels sont les champs des possibles pour la transformation d’un habitat ?

Garder son indépendance est primordial. Les propriétaires séniors veulent rester autonomes, cela veut dire garder leur chambre, une salle de bains, une cuisine indépendante et un espace pour recevoir leur famille.

Pour nous, le vieillissement de la population est l’occasion de penser demain et d’aider ces propriétaires à transmettre leur patrimoine immobilier aux futures générations dans un esprit de redistribution.

Est-ce l’occasion pour eux de prendre en compte une future perte d’autonomie en améliorant leur confort personnel ou leur démarche de transformation est-elle dirigée dans l’unique but de pouvoir transmettre leur bien à leurs enfants ?

C’est l’un et l’autre. Parfois, il nous arrive de leur faire des propositions qui vont dans le sens d’un logement de plain-pied afin d’anticiper les pertes d’autonomie ou de mobilité. Pour le moment, nous travaillons avec des propriétaires qui ont tendance à anticiper leur vieillesse, certains ne sont pas encore retraités, d’autres le sont de fraiche date, mais la tendance serait plutôt à un projet de développement patrimonial, la question de l’adaptation du logement ne vient pas en tête des préoccupations comme nous nous y attendions. Sauf cas de force majeure comme ce propriétaire qui a besoin d’accueillir son père et aménage un programme spécifique avec une douche à l’italienne.

Est-ce que le fait de densifier sa propriété est vu comme un moyen de se socialiser, ou de créer de nouveaux types d’interactions au sein même de la propriété ?

Encore une fois, c’est très variable. Nous sommes en train de déposer un permis de construire sur lequel justement il y a plutôt la volonté d’une très grande indépendance, pas de vis-à-vis, mais le projet reste très qualitatif. D’autres projets sont plus ouverts à cette idée de sociabilité mais l’idée n’est pas de tendre à tout prix vers le partage. Il s’est trouvé des propriétaires à proximité de Paris qui sont extrêmement enthousiastes à l’idée de partager, d’ouvrir leurs espaces afin de retrouver des lieux communs. Mais il y a une chose sur laquelle nous restons attachés qui se résume à aménager du logement classique, c’est-à-dire “des T1, des T2, des T3” en allant vers des formes de partage, restent les freins liés aux questions de la réglementation ce qui rend les choses compliquées. Prenons l’exemple des parkings. La règle veut qu’un logement égal une place de stationnement alors qu’à priori, l’avenir est plutôt sans voiture, ou moins de voitures. C’est sur ce genre de blocages que nous sommes amenés à réfléchir en apportant des solutions alternatives de type logements partagés afin de contourner la réglementation. Et encore! Il est encore difficile d’en tirer des conclusions en raison d’un flou juridique sur ces sujets et notamment au niveau des PLU, car les logements partagés n’existent pas encore.

Garder son indépendance est primordial.
Les propriétaires séniors veulent rester autonomes, cela veut dire garder leur chambre, une salle de bains, une cuisine indépendante et un espace pour recevoir leur famille.

À ce propos, quelle est la définition d’un logement partagé ? L’est-il avec d’autres propriétaires ou est-ce un propriétaire qui exploite un bail avec deux foyers familiaux ?

C’est plutôt cette dernière solution qui est prisée. Après, au niveau réglementaire, que ce soit un seul propriétaire ou bien deux ou trois, cela n’a pas d’importance. Le PLU ne considère pas le nombre de propriétaires ou de locataires mais plutôt le logement type. Prenons un exemple. À Arcueil, lors d’une expérimentation, nous étions sur un projet de logement partagé entre la propriétaire et deux studios pour étudiants. On voulait justement faire au début des logements indépendants. Mais il s’avère que, du point de vue du PLU, la parcelle était vraiment trop petite pour pouvoir mettre une deuxième place de parking, donc nous étions dans l’impossibilité de faire le projet tel qu’on aurait voulu le faire, c’est-à-dire un programme avec une entrée indépendante pour la propriétaire. Par conséquent, nous sommes partis sur cette réflexion d’imaginer un logement partagé pour lequel la propriétaire serait plutôt favorable, selon conditions, à accueillir des étudiants chez elle sans les avoir dans son salon. Nous avons donc proposé de déporter le problème en organisant une salle commune et une entrée commune parce que selon le PLU ce qui définit un logement c’est l’entrée. Puis il y a eu des discussions avec la mairie établissant qu’un logement commun dépend d’une seule cuisine. Ce qui était compliqué pour la propriétaire si elle avait envie de recevoir et d’accueillir sa famille. Vous voyez comme il est compliqué de résoudre ce type de problème dès lors que la réglementation entre en jeu, et sur le logement partagé nous butons sans cesse sur ce flou réglementaire.

La question de l’adaptation du logement ne vient pas en tête des préoccupations comme nous nous y attendions.

Pour clôturer notre échange, nous aimerions vous demander de résumer en quelques mots ce qui a été l’essence de notre conversation. Et pour vous, c’est quoi bien vieillir en ville demain ?

La question est très intéressante. Qu’est-ce que bien vieillir en ville ? Ce n’est pas un sujet qui tourne uniquement autour du vieillissement, il est en réalité beaucoup plus large. Bien vieillir nécessite d’avoir des services à portée de mains et de pouvoir aller chercher son pain tous les jours. Mais c’est aussi être entouré, il faut combattre la solitude, c’est vital. Ne pas être tributaire de la voiture est aussi primordial, notamment pour voir d’autres personnes. Cette question concerne toute la société, de fait, la réflexion sur le vieillissement de la population est l’occasion de remettre au cœur du sujet sur la ville toutes ces problématiques afin de mieux vivre ensemble. C’est d’ailleurs ce qui a motivé notre initiative en traitant le vieillissement de la population par le biais de la transformation des quartiers pavillonnaires, sujet qui me passionne depuis des années. D’abord parce que j’y ai passé mon enfance. Je ne vais pas dire que j’en ai souffert, mais en tous cas, enfant et adolescent, il m’a manqué un peu de vie dans ce type de quartier du fait d’être toujours dépendant des transports, de la voiture, etc. Finalement, ce vieillissement qui entraîne de nouveaux besoins, entraîne aussi un besoin de partage, c’est une opportunité pour réfléchir à la fabrication de la ville différemment et notamment dans le périurbain, un territoire qui a été pensé sur l’individualité et sur le besoin de s’isoler en possédant sa maison et son jardin… Finalement, bien vieillir est un thème intimement lié à la ville et aux échanges nécessaires avec les autres. À mes yeux, c’est une occasion d’imaginer un urbanisme futur beaucoup plus axé autour du service, de la mixité, de l’intergénérationnel, donc de la convivialité.

Interview réalisée le 13 janvier 2020 à la Maison de l’architecture Île-de-France par Meriem Chabani et Guillaume Sicard