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Yvette déménage
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Usagers #7

Maurice : Ruptures

Description du podcast

À l’aube de l’Hiver, Maurice est un homme libre qui s’accepte et le revendique. Son chez-soi, c’est un grand séjour multifonctionnel où il peut enfin accueillir. Dans son salon, il limite ses efforts en ayant tout à portée de main et en multipliant les usages ; autour, gravitent ses espaces vitaux. Bien que très bien desservi, il n’a d’autre destination que l’Association les Audacieuses et les Audacieux. Il est conscient de ses limites physiques. Demain, il vivra aux côtés de sa fille et son gendre, sans être un poids pour eux.

  • Par Guillaume Sicard
  • Le 24 Juin 2020 au Chesnay (78 150)
  • Photographie : Olivier Leclercq Édito  : Michèle Leloup Montage : Valentin Brion Musique - Ezechiel Pailhès Label - Circus Company

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Contenu du podcast

Portrait

  • :

    → Privilégier un séjour multifonctionnel pour pouvoir accomplir ses tâches quotidiennes sans effort.

  • :

    → Se sentir dans un espace ample et protecteur grâce à un volume lumineux et dégagé.

  • :

    → Ne pas être un poids pour les autres, être autonome chez soi le plus longtemps possible.

  • :

    → Habiter à proximité des personnes aidantes.

  • :

    → Vivre seul, pour vivre à son rythme, par goût de la liberté.

  • :

    → Maintenir une activité physique régulière.

Destinations fréquentes et marchabilité

Logement

  • Surface:

    52 m² + 3 m²

  • Étage:

    5ème étage

  • Ascenseur:

    Oui

  • Nombre d'occupants:

    1 + 1 étudiant occasionnellement

  • Quartier:

    Porte St-Antoine /
    Le Chesnay Rocquencourt
    78150

  • Centralité:

    À 2.5km du RER C / 400m du bus

Plan

  • :

    1 Coin nuit

  • :

    2 Coin activités

  • :

    3 Coin invités

  • :

    4 Coin lecture

  • :

    5 Coin cuisine

  • :

    6 Coin rangement

  • :

    7 Point d’eau

Retranscription de l’entretien

Bonjour Maurice, vous avez 84 ans, c’est bien cela ?

Non, j’ai seulement 82 ans et demi !

Excusez-moi Maurice ! Vous êtes membre de l’association Rainbold, que nous avions déjà rencontrée au préalable. Vous avez travaillé comme éducateur spécialisé et vous avez pris votre retraite à 59 ans.

Désolé, c’était à 55 ans !

Pardon ! Cela fait maintenant combien de temps que vous êtes à la retraite ?

Vingt-six ans.

Voilà donc vingt-six ans que vous êtes à la retraite et que vous vivez dans un appartement d’une soixantaine de mètres carrés.

Le salon fait 23 m² et l’appartement 54 m².

Cet appartement de 54 m² se trouve dans une cité-jardin du Chesnay. Combien y a-t-il d’habitants ?

La copropriété de Parly 2 a été construite entre 1969 et 1971 et elle comporte 5 000 logements, soit environ 20 000 habitants. La ville d’origine est Le Chesnay et compte toujours 9 000 habitants sur un site qui comprend plus de 50 % d’espaces verts.

Les bâtiments ne montent pas plus haut que R+4, semble-t-il…

C’est le maximum autorisé en raison du Château de Versailles, périmètre patrimonial classé.

Combien avez-vous de chambres ici ?

Ici, je n’en ai qu’une. Dans l’appartement que j’ai quitté l’an dernier, il y avait un séjour et trois chambres, mais dans le cas présent, il comporte un séjour et une petite chambre de seulement 9 m².

Dans l’appartement que j’ai quitté l’an dernier, il y avait un séjour et trois chambres, mais dans le cas présent,
il comporte un séjour et une petite chambre de seulement 9 m², après avoir payé la maison de retraite de mon épouse, j’ai opté pour la location de cet appartement.

Accueillez-vous souvent des gens chez vous ?

Non, je n’accueille pratiquement jamais personne, excepté un ami qui vient de temps en temps de Paris, mais seulement trois à quatre fois par an. Je le couche dans la chambre et j’occupe le canapé clic-clac du salon. Ma fille et la femme de ménage viennent dans la journée et c’est tout.

Donc c’est un 60 m² « all inclusive » pour vous seul ?

Absolument.

Chacun de nous a son parcours résidentiel. Maurice, pouvez-vous nous raconter le vôtre, du premier habitat que vous avez occupé jusqu’à celui dans lequel nous nous trouvons actuellement ?

Je suis né à Versailles en 1938. Mes parents ont habité un petit appartement à Meudon pendant deux ans. Mon père a fait construire juste avant la guerre un pavillon en meulière à Chaville. On s’y est installé en 1939. Un an après, mon père était mobilisé et ma mère et moi avons pris la route de l’exode. Puis nous sommes revenus dans ce pavillon jusqu’en 1945. À ce moment-là, mon père s’est retrouvé au chômage, comme beaucoup de gens de son âge. En 1946, il est donc parti au Maroc où nous l’avons rejoint en 1947 et y sommes restés jusqu’en 1956. À cette date, j’ai obtenu mon baccalauréat et je suis revenu en France, où j’ai séjourné quelque temps chez un grand-père assez hostile. Je m’y sentais vraiment très mal. J’ai entamé ma première année professionnelle dans le secteur bancaire, mais ce n’était pas du tout ma vocation. Aussitôt après, j’ai été muté deux ans et demi en Algérie aux frais de l’État puis je suis rentré en juin 1960.
Au bout du compte, j’ai démissionné de la Banque de France pour entrer dans l’enseignement. Durant plus d’un an, j’ai vécu dans une chambre meublée chez l’habitant avant de me marier en 1961. Je me suis alors installé dans le pavillon où vivaient ma femme, Odile, et sa mère, lequel se situait à l’autre bout du Chesnay. Nous y sommes restés un bon moment et nous avons quitté les lieux il y a dix ans quand Odile a été frappée par la maladie d’Alzheimer. Elle commençait à faire des bêtises et ouvrait le pavillon à des inconnus, si bien que nous avons logé dans un appartement tout proche pour plus de sécurité. Elle y a vécu cinq ans avant de partir en maison de retraite et moi j’y suis resté dix ans. J’ai vendu notre bien et déménagé l’année dernière pour le même appartement, mais avec deux chambres en moins, et ce pour des raisons financières : après avoir payé la maison de retraite de mon épouse, j’ai opté pour la location de cet appartement.

Vous sentez-vous plus en sécurité en appartement ?

Les pavillons je les aime bien pour les autres, mais pas pour moi parce qu’il y a toujours un terrain ; or je déteste jardiner et me baisser pour ramasser les mauvaises herbes ! En outre, il s’agissait d’un pavillon très moche. Le père d’Odile l’avait acheté juste avant la guerre avec l’intention de tout modifier, mais il est mort très tôt. Sa mère n’a fait aucun travaux et nous n’avions pas nous-mêmes les moyens de le réaménager. Ce pavillon n’était pas bas de gamme, il était même bien construit, mais mal fichu et entouré d’un jardin. Ici, ma terrasse fait 6 m² il n’y a pas une plante. Il n’y a rien.

Je regarde la verdure en me penchant à mon balcon.

Vous êtes tout de même bien entouré grâce à la cité-jardin…

Je regarde la verdure en me penchant à mon balcon.

Quels ont été vos critères de choix dans vos lieux de vie ?

En réalité, je n’ai jamais choisi mes lieux de vie. De mon enfance à notre séjour au Maroc où j’ai suivi mes parents, jamais je n’en ai eu l’occasion. Rentré en France en logeant chez mon grand-père puis dans des chambres meublées, j’ai finalement habité la villa de ma femme et de sa mère quand je me suis marié.

Comment avez-vous choisi votre appartement actuel ? Vous y sentez-vous bien ?

C’est le tout premier que j’ai réellement choisi. À 82 ans ! J’ai aussi veillé à son aménagement, car jusqu’à l’an passé je vivais encore dans les meubles d’Odile et ceux de sa famille. Je me sens chez moi seulement maintenant.

Quelle est votre sensation ? Qu’avez-vous apporté à votre cadre de vie ?

C’est triste de penser qu’il ait fallu la maladie d’Odile et son départ pour que je m’installe ailleurs. C’est aussi la première fois que je vis seul, cela ne m’était jamais arrivé. Mes parents m’ont conçu dans un excès de batifolage et aussitôt après, il y a eu la guerre. En ces années-là, nous vivions un peu cloîtrés. Quand on parle aujourd’hui de confinement… à cette époque nous étions confinés aussi. Par ailleurs, j’ai connu la vie en internat pendant douze ans.

Donc depuis trois ans, vous goûtez à la liberté ?

Absolument. J’ai la liberté de voir qui je veux, de sortir quand je veux, je ne demande rien à personne, ni ne préviens quiconque.

En réalité, je n’ai jamais choisi mes lieux de vie.

Et comment cette liberté se traduit elle dans votre espace ?

Dans mon espace, c’est plus la pagaille que cela ne l’était du temps d’Odile. Si vous étiez venu hier c’était rangé parce que la femme de ménage venait de passer. Le rangement, je ne sais pas faire. À mes yeux, la liberté c’est de pouvoir tout laisser en vrac, quitte à me faire engueuler quand quelqu’un vient, ma fille par exemple ou un étudiant. Ils me disent : « Vous ne pourriez pas ranger un peu ? » Certes, je le pourrais, mais j’ai la liberté de ne pas le faire.

Si l’on vous donnait carte blanche pour imaginer votre logement, à quoi ressemblerait-il ?

C’est ce qui va arriver d’ici peu de temps, car je ne suis là que pour deux ans étant donné que ma fille et mon gendre vont partir à la retraite en Bretagne. En fait, je suis sous curatelle de ma fille de sorte que je ne vais pas rester ici où je ne connais plus personne. J’ai donc décidé de les rejoindre dans le Morbihan, à côté de Vannes. Nous sommes déjà à la recherche d’un deux-pièces qui me conviendrait non loin de Sarzeau où les prix sont plus accessibles pour moi. Je peux même avoir un logement de bonne qualité et le fait d’habiter ici depuis un an me donne déjà des indications sur ce qui est pour moi le logement idéal ; à savoir : un grand séjour et une grande baie vitrée pour faire entrer la lumière que je tamiserai l’été. Quant à ma chambre, elle peut être petite puisque je n’y suis que de minuit à 6 h du matin. En revanche, dans la journée tout se concentre dans le séjour où il y a différents emplacements, pour l’ordinateur, le salon/bibliothèque, le coin repas et un petit espace pour le téléphone. Je dois tout avoir à portée de main. J’aime bien avoir une grande pièce. En revanche, je supporterais très mal d’être en studio. Quand je serai obligé de finir dans une chambre en EHPAD, cela sera difficile d’être enfermé entre quatre murs ! Ici, j’ai la salle de bains, la chambre et la cuisine, ce sont quatre petits espaces côte à côte, certes, mais c’est quand même important.

Est-ce que vous anticipez les changements à venir ?

À 83 ans les changements à venir sont assez modérés. Je marche de moins en moins bien et je n’entends plus du tout.

C’est aussi la première fois que je vis seul, cela ne m’était jamais arrivé.

Quand vous êtes arrivé dans cet appartement, y avez-vous apporté des modifications ?

Il était vide, si bien que je l’ai entièrement meublé. Depuis un an, j’ai retiré les gros meubles pour ne garder que deux étagères blanches, sinon je n’ai rien racheté. Je me suis débrouillé avec les petits meubles qui trainaient dans le précédent appartement, de façon à avoir un aménagement bas qui permet d’avoir des murs très dégagés. Cela donne une impression d’ampleur. J’ai aussi retiré les cadres en aluminium et les posters de photos que je faisais, cela prenait beaucoup trop de place.

Vous avez préféré organiser des petits recoins finalement.

J’ai profité des recoins de l’appartement puisqu’ils sont nombreux pour les investir à ma façon. J’ai procédé ainsi pour avoir plus d’espace et de lumière. Par contre le soir, je boucle tout, car j’aime bien être dans mon cocon.

Vous me racontiez que vous parcouriez le quartier, la ville. Avez-vous des activités collectives avec les gens de votre quartier ? Vous semblez avoir un engagement militant dans vos activités…

C’est relativement récent. Tout s’est enclenché en 2016 après le départ d’Odile. Je me suis retrouvé en panne d’ordinateur et, grâce à des amis, un étudiant extrêmement doué est venu me dépanner. Nous avons sympathisé et depuis il vient toutes les semaines depuis quatre ans.

N’avez-vous pas de relations de proximité dans votre quartier ?

Dans mon quartier, non.

N’appréciez-vous pas vos voisins ?

Non. C’est un problème de phobie sociale.

J’ai la liberté de voir qui je veux, de sortir quand je veux, je ne demande rien à personne, ni ne préviens quiconque.

C’est-à-dire ?

Pendant ma vie entière, il a fallu que je me force, que ce soit à l’école ou avec les collègues de travail, pour avoir une vie sociale. En réalité, je n’ai jamais aimé faire partie d’un groupe. J’ai pratiqué la randonnée, mais seul, et j’ai participé à une chorale, mais cela n’a pas duré longtemps. Passionné par la photo je n’ai jamais rejoint un groupe d’amateurs qui marche bien au Chesnay. En fait, j’ai toujours eu le sentiment d’être moins bon que les autres, de ne pas comprendre, cela m’est difficile d’être avec les autres…
À ce propos, nous allons déborder du cadre de votre enquête, mais mes problèmes de relations avec autrui viennent du fait que j’ai été violé à l’internat pendant des années. À partir de là, je n’ai jamais eu d’amis ni de relations. Les seules personnes qui venaient à la maison étaient liées à Odile. Personnellement, je n’ai jamais eu de ma vie ni un copain de lycée qui soit resté en contact avec moi ni un camarade de l’armée ni un collègue de travail. Depuis quatre ans, Erwann m’encourage à m’ouvrir en me disant « Allez-y ! Allez-y ! Allez-y ! » C’est lui qui me pousse dans un tas de directions et tout ce que je fais depuis c’est grâce à lui.

À cause de votre histoire personnelle et de ce traumatisme que vous venez d’évoquer, vous n’avez donc jamais eu d’attaches avec les gens de ce territoire où vous semblez avoir passé votre vie ?

Non. Avec les gens du Chesnay, j’aurais pu, d’autant qu’Odile avait ses activités et notamment ses parties de Scrabble. Elle allait aussi au catéchisme, revenant souvent à la maison avec des gens que je connaissais. En réalité, depuis mon enfance j’ai appris à faire bonne figure, à me cacher derrière un masque, à avoir les réactions qu’il faut. Pour autant, je n’ai jamais eu de problèmes sociaux avec les gens parce que je m’adaptais en permanence. Mais s’adapter constamment ne permet pas de nouer des relations personnelles.

Vous ne vous vous sentez pas légitime ?

C’est tout récent pour moi ce mot « légitime », un terme qu’on emploie aujourd’hui à tout bout de champ. En fait, je pense que je ne me sentirai jamais vraiment légitime. À l’époque je disais : « vraiment à ma place ». Même avec les gens du groupe photos parce qu’ils maîtrisaient mieux la technique que moi. Cela étant, je n’ai jamais pris des photos autrement qu’avec un appareil automatique, et elles sont superbes ! Mais le fait d’être homosexuel… Je l’ai toujours dit aux gens, mais les réponses étaient toujours les mêmes : « Bon, on aurait préféré ne pas le savoir, maintenant, tu ne nous en parles plus ». J’ai toujours essuyé des réactions difficiles. Mon oncle, ma tante, et ma sœur ont complètement coupé les ponts avec moi. Au mieux, on m’a toujours suggéré de ne jamais parler de « ça ».

À 83 ans les changements à venir sont assez modérés. Je marche de moins en moins bien et je n’entends plus du tout.

Si vous avez eu le sentiment d’être rejeté pendant quarante ans en raison de votre orientation sexuelle, pensez-vous que vieillir avec des homosexuels, hommes ou femmes, ou bien des gens qui ont eu une histoire similaire à la vôtre serait plus facile ? Ou au contraire vaut-il mieux selon vous vivre pour soi ?

Je ne vais pas dire que « si Odile était partie plus tôt », cela m’aurait fait gagner trois ou quatre ans… mais à l’évidence, j’aurais rencontré Erwann bien avant.

Erwann c’est l’étudiant.

C’est vrai que je suis bridé maintenant, pas par l’âge, mais pour le rejoindre. Aller à Paris est une punition. Cela me prend deux heures et autant pour en revenir. Je n’ai plus de voiture et j’entends vraiment très mal.

C’est donc votre perte d’autonomie qui vous pousse à ne pas aller vers un « projet » ?

Oui c’est plutôt ça. Le fait de vieillir avec d’autres homos dans la Maison de la diversité m’a procuré, la première année, un vrai enthousiasme. Je les côtoyais réellement pour la première fois. Autrefois, j’avais bien fait quelques rencontres, mais elles n’ont jamais abouti. Erwann était celui que je retrouvais régulièrement, même si ce n’était que pour des réunions de travail. Par ailleurs, je trouvais ce projet de vie en communauté formidable. Aujourd’hui, ce n’est plus tout à fait le cas. Certes, je continue à fréquenter cette association, car pour moi qui ai vécu en hétéro toute ma vie, j’y vois des gens qui ont passé la leur « en homo », l’assumant avec ce que cela suppose de galères, de cheminements personnels. En ce qui me concerne, je préfère rester seul. C’est pour moi tout neuf de vivre en toute liberté, car cela ne fait que trois ans. Quand nous allons partir en Bretagne, j’espère que je serai assez autonome pour vivre encore deux ou trois ans dans un appartement en pleine ville pour en profiter, sachant qu’après j’essaierai de rester dans mon « chez-moi » jusqu’à l’extrême limite. Je souhaite aller le plus loin possible tout seul, mais comme je marche difficilement et que j’entends très mal, je pense qu’à la fin il faudra penser à l’EHPAD.

Est-ce votre souhait d’aller jusqu’au bout chez vous ?

Oui, j’espère vieillir chez moi le plus longtemps possible.

Que vous manque-t-il, ici, comme activités ?

En ce moment, rien. Ce qui me manque c’est de ne plus conduire et ne plus pouvoir marcher ailleurs, comme d’aller à la campagne.

J’ai profité des recoins de l’appartement puisqu’ils sont nombreux pour les investir à ma façon. J’ai procédé ainsi pour avoir plus d’espace et de lumière. Par contre le soir, je boucle tout, car j’aime bien être dans mon cocon.

Mais quand vous avez réfléchi, par exemple, à cette colocation pour personnes âgées LGBT, quelles étaient vos activités et qu’est-ce que vous n’aviez pas imaginé ?

Dans la charte de la Maison de la diversité, en dehors du secours mutuel des uns aux autres, il y avait tout un panel d’activités possibles du fait que le lieu était ancré dans un quartier animé. Mais n’entendant plus très bien et marchant difficilement, les sorties en groupe dans un brouhaha épouvantable ne me profitaient plus.

Avez-vous vécu le confinement en raison de la Covid-19 comme une privation de liberté ?

Étant donné mon genre de vie, je ne me suis même pas aperçu du confinement. Même si avec Erwann je sortais pour aller aux réunions organisées par Stéphane et que je déjeunais avec eux. Il y avait autour de moi un autre étudiant, qui est professeur de musique, et l’un de ses copains qui est producteur de clips ainsi que sa copine. Du coup, toutes les semaines nous dînions tous ensemble ; à eux quatre, ils ont mon âge et cela se passe très bien. C’est une expérience que je n’ai jamais faite jadis parce que je n’avais pas ce type de fréquentations à 20 ans, c’est-à-dire à leur âge.

Les avez-vous accueillis ici pendant le confinement ?

Non, pendant le confinement, il n’y avait qu’Erwann qui venait avec un papier « Assistance à personne vulnérable », ce qui n’était pas faux parce que si j’avais eu un pépin d’ordinateur j’aurais été coupé du monde.

Pendant le confinement êtes-vous sorti ?

Je sortais une heure. Je n’aurais jamais débordé de peur d’être arrêté par un flic. Je faisais mes soixante minutes tous les matins. C’est plutôt le déconfinement que j’ai mal vécu. Mais au fond, personne ne m’a vraiment manqué pendant cette période et, depuis, je réalise que je pourrais toujours être confiné que cela ne changerait rien. Il n’y a personne que je suis content de revoir. En fait, il n’y avait personne avant, pourquoi y aurait-il quelqu’un après ?

Nous sommes en période de déconfinement, mais je suis très heureux de faire cet entretien avec vous, Maurice !

Il y a sans doute des personnes qui ont été heureuses de revoir leurs enfants, leurs familles, leurs voisins, pas moi.

En fait, j’ai toujours eu le sentiment d’être moins bon que les autres, de ne pas comprendre, cela m’est difficile d’être avec les autres…

N’avez-vous pas été privé de quelque chose ?

Non, parce que je n’avais rien avant.

Le monde « d’après » comment l’imaginez-vous ?

Je n’ai jamais pensé que le monde d’après serait différent, parce que toutes les grandes solidarités qui se sont développées pendant trois semaines, puis pendant trois mois, sont en train de s’effriter. Ici, je n’ai qu’un seul commerce de proximité — si je vivais dans un village, cela serait différent. De fait, je ne me suis ravitaillé qu’auprès de ce petit supermarché Casino qui est proche et que je connais bien. Les gérants m’ont affirmé qu’ils étaient aux petits soins pour les gens du quartier pendant tout ce temps, une occasion pour eux de faire un peu plus de chiffre d’affaires dans la mesure où c’était la croix et la bannière d’aller dans les grandes surfaces. Depuis que les grands centres commerciaux ont rouvert, le Casino dit que « tout va plus mal pour eux désormais », alors que tout le monde était enchanté de les trouver lors du confinement. Il n’y a rien de nouveau dans les attitudes, ne serait-ce qu’un bonjour aux éboueurs tous les matins, cela n’a duré que trois mois, c’est maintenant fini. Tout est redevenu comme avant.

Cela vous fait-il peur de vivre avec des « vieux », ou disons des « aînés » ?

Je sais qu’il faudra y arriver à la fin. Dire « je reste chez moi », comme l’ont fait les gens de ma famille, cela semble difficile. Mes tantes et mes cousines, des gens de 90/92 ans sont presque toutes mortes chez elles. Il n’en reste que deux ou trois. Maman est morte en maison de retraite parce que c’était absolument obligatoire. Maintenant cela parait de plus en plus compliqué et je ne me vois pas grabataire en Bretagne, même avec ma fille à côté. À partir du moment où elle sera obligée de passer une fois par semaine ou éventuellement deux, et qu’il faudra quelqu’un pour me lever, mieux vaut que cela soit fait par des spécialistes et que ma fille vienne juste me visiter dans ma chambre.

Vous parlez de l’EHPAD. Vous êtes-vous renseigné sur d’autres modèles d’habitat ?

De fin de vie, il n’y en a pas 36 !

Ne parlons pas de centres médicalisés, mais des lieux de vie pour seniors encore valides ?

Dans la Maison de la diversité que dirige Stéphane et dont je vous parlais, je me serais senti plus à l’aise. J’y trouvais des points communs et cela me plaisait bien. Reste qu’il n’aurait pas fallu que je connaisse Stéphane au moment où j’étais encore avec Odile. C’est quand même un truc que je ne connaissais pas du tout et que j’ai découvert à 79 ans ! Ce lieu de vie pour personnes homosexuelles tient compte de nos envies. C’est important de pouvoir se dire : « Je mange ce que je veux, quand je veux, je n’ai rien envie de faire aujourd’hui et je ne le fais pas ». C’est avoir l’esprit libre. Je n’aurais jamais pu avoir les soirées que je partageais avec « mes » jeunes si j’avais encore été avec Odile. Ou si ma fille m’avait dit : « Tu viens habiter chez nous. » Cela se faisait beaucoup autrefois et même dans ma génération ; par exemple, ma sœur a pris maman avec elle durant 26 ans. Elle s’en est mordu les doigts ensuite. Moi-même j’étais sur le point de l’accueillir, mais Odile à l’époque a dit : « Jamais de la vie ! », refusant de prendre en charge sa belle-mère. Il est vrai que ma fille Catherine, qui a une grande maison, aurait pu me dire : « Maintenant que tu es tout seul, on t’installe un coin studio, tu mangeras de ton côté. » En réalité, cela aurait été bien plus bloquant qu’ici !

C’est tout récent pour moi ce mot « légitime », un terme qu’on emploie aujourd’hui à tout bout de champ. En fait, je pense que je ne me sentirai jamais vraiment légitime.

Donc vous êtes un homme libre aujourd’hui !

En ce moment oui !

Pour clôturer notre échange, Maurice j’aimerais vous proposer un petit « question-réponse ».
Votre vendredi soir idéal ?

C’est un vendredi soir avec les jeunes.

Jardin ou balcon ?

Balcon

Ville ou campagne ?

Petite ville à la campagne. La grande ville je n’aime pas du tout. La campagne loin de tout, sans doute pas, il faut quand même que j’aie ce qu’il me faut autour.

Sport ou canapé ?

Canapé et marche !

Seul ou accompagné ?

J’aurais bien aimé être accompagné, car je l’ai été pendant soixante ans ! Il y aurait eu un accompagnant de temps en temps dans ma vie cela aurait été mieux, mais bon…

Merci Maurice de nous avoir ouvert votre appartement et votre quotidien, de nous avoir confié votre histoire, merci de votre générosité. C’était le Printemps de l’Hiver avec Guillaume. Merci

J’aime beaucoup votre expression « le Printemps de l’Hiver » !

Interview réalisée le 24 Juin 2020 au Chesnay (78) par Guillaume Sicard