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Usagers #6

Ginette : J'y suis, j'y reste !

Description du podcast

L’activité intellectuelle et sociale de Ginette lui tient lieu d’arbre de vie. Ginette a réduit son territoire à un périmètre sécure afin de préserver son énergie et de la partager au maximum avec son entourage. Dans son immeuble, elle joue un rôle pivot « d’ancienne ». Son chez-soi est un espace gradué : partagé, semi-partagé, intime. Consciente des changements à venir, elle est freinée dans son dynamisme par l’impossibilité d’échanger son appartement au troisième étage sans ascenseur, dont elle est propriétaire, avec un locataire du rez-de-chaussée.

  • Par Aurélie Barbey
  • Le 3 janvier 2020 à Gennevilliers (92 230)
  • Photographie : Olivier Leclercq Édito  : Michèle Leloup Montage : Valentin Brion Musique - Ezechiel Pailhès Label - Circus Company

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Contenu du podcast

Portrait

  • :

    → Préserver la sécurité apportée par son chez-soi et ne pas se sentir déraciné.

  • :

    → Demeurer propriétaire, un confort de vie.

  • :

    → Être un repère pour les autres, un aîné « sachant », observateur attentif de son entourage.

  • :

    → Accepter ses limites, gérer son manque de patience, s’avouer que vieillir ne permet plus autant de mobilité.

  • :

    → Souhaiter un mobilier plus adaptés aux séniors : bibliothèques modulables, fauteuil de repos, etc.

  • :

    → Combler l’absence de tiers lieu dans les environs, en ne rétrécissant pas son espace vital pour pouvoir recevoir.

Destinations fréquentes et marchabilité

Logement

  • Surface:

    95 m² + 9 m² d’espace extérieur

  • Étage:

    3ème étage

  • Ascenseur:

    Oui

  • Nombre d'occupants:

    1 + accueil petit-fils

  • Quartier:

    Chandon-Brenu /
    Gennevilliers / 92230

  • Centralité:

    À 950 m du métro ligne 13,
    50 m du réseau bus

Plan

  • :

    1 Coin nuit

  • :

    2 Coin activités

  • :

    3 Coin invités

  • :

    4 Coin lecture

  • :

    5 Coin cuisine

  • :

    6 Coin rangement

  • :

    7 Point d’eau

Retranscription de l’entretien

Notre histoire personnelle est liée à nos lieux de vie. De votre première maison à la dernière, pouvez-vous nous raconter, Ginette, votre parcours résidentiel ?

À ma naissance, il y a 72 ans, j’ai habité Hayange, une petite ville industrielle de Lorraine. Mes parents étaient ouvriers et logés dans une maison de l’usine, très moche, une colocation à étages située en bordure de la Chiers. J’avais très peur dans cette maison parce qu’on me disait que les rats de la rivière viendraient me manger les pieds si je n’étais pas sage !
Puis mes parents ont déménagé pour aller dans une belle cité ouvrière à Heumont, également dépendante du site industriel, à l’époque la cité Lorraine tenait à loger ses ouvriers pour les maintenir en place. Ces maisons peintes en rouge et jaune dominaient le plateau de la ville. Puis nous avons encore déménagé dans une autre maison d’usine, mais cette fois plus chic, neuve, avec une douche, une grande cuisine, un jardin, mes copines étaient à deux pas et nous allions à l’école toute proche. Cette fois plus de rats ! À mes 13 ans, ma mère a revendiqué l’achat d’un toit, elle voulait être propriétaire craignant que l’usine ferme tôt ou tard et que l’on se retrouve à la rue, un acte prémonitoire avec la désindustrialisation progressive de la région. Mes parents ont donc construit exactement la même maison à Réhon, avec un jardin, non loin de l’usine.

Si ce n’est que vous étiez propriétaires !

Ma mère voulait être tranquille pour ses vieux jours, mais mon père a du mettre à profit ses moments libres pour bâtir cette maison avec l’aide de ses copains. À l’époque, l’auto-construction était en vogue auprès de ceux que l’on appelait les « castors », mon père rendait la pareille, ce système reposant sur une entraide collective. Nous avons donc eu une belle maison avec jardin que l’on a plus depuis, mes parents étant décédés.

J’ai vu défiler du monde depuis que j’ai emménagé en 1984. Par conséquent, je suis la plus vieille de l’immeuble, une sorte de grand-mère pour tout le monde si bien que l’on m’a vite repérée et que des liens s’établissent avec les nouveaux venus.

Combien de temps y êtes-vous restée ?

Pas longtemps, dès la classe de seconde je suis partie pour Nancy afin d’entrer en internat à l’École Normale d’Instit pendant cinq ans. Je rentrais chez mes parents chaque week-end et durant les vacances scolaires. Puis je suis tombée amoureuse assez vite et me suis mariée pour me retrouver à Paris, en chambre de bonne, rue de Berne, dans le 9ème, près de la gare St Lazare, un 6ème étage sans ascenseur ! Pas très drôle, cher, avec une lucarne pour seule fenêtre. Quand mes parents sont venus me voir, ils étaient catastrophés, en dépit de mes études supérieures, j’étais mal logée alors qu’eux vivaient dans une belle maison. Ils avaient l’impression de s’être sacrifiés pour rien.

Que s’est-il passé ensuite ?

J’ai fini par être nommée conseillère d’orientation à Gennevilliers. Et l’histoire se répète. Afin de fixer les enseignants dans cette ville où personne ne voulait rester, la maire adjointe qui souhaitait me garder m’a proposée un logement contre un contrat de cinq ans. J’ai dit oui, bien sur ! Comme la résidence Le Luth se construisait à Gennevilliers, elle m’a proposée l’obtention d’un logement dans cet HLM, je le payais mais j’étais prioritaire pour y emménager. J’ai ainsi bénéficié d’un superbe appartement au Luth, 4 pièces au dernier étage, ce qui m’a permis d’être tout près de mon boulot. Et j’y suis toujours ! Enfin presque. J’en ai acquis un semblable en 1984 au moment de mon divorce, j’aimais mon ancien logement, mais le voisinage étant trop intrusif, j’ai préféré tourner la page et m’installer dans celui que j’occupe actuellement et dont je ne bougerais plus. Un peu plus tard, j’ai fait l’acquisition d’une petite maison dans l’Indre, mais en définitive je l’ai mise en vente car en quinze ans je n’y ai pas beaucoup mis les pieds. J’y allais seulement aux grandes vacances et comme je devais envisager des frais pour la retaper, j’ai préféré la mettre en vente.

On se sentait un peu privilégiés d’être propriétaires parmi les autres locataires si bien que nous ouvrions nos portes à tout le monde et nos enfants fréquentaient les mêmes écoles.

Comment avez-vous vécu la transition entre le collectif de la cité du Luth et cette résidence ?

Ici, en effet, il n’y a que trois étages ce qui change du Luth qui en comptait le double voire le triple. C’était une grande barre mais l’avantage était sa proximité avec les écoles et les collèges au moment où mes enfants étaient scolarisés. C’était un village vertical comme vous dites ! Mais je m’y suis plu, même si mes enfants m’ont avoué par la suite s’être fait agresser par des locataires dans l’ascenseur plus d’une fois…

Cette résidence dans laquelle vous vivez est non seulement à échelle humaine mais il semble y régner un climat apaisé avec les espaces extérieurs, est-ce le cas ?

Oui, mais cela n’empêche pas un turn-over important et j’ai vu défiler du monde depuis que j’ai emménagé en 1984. Par conséquent, je suis la plus vieille de l’immeuble, une sorte de grand-mère pour tout le monde si bien que l’on m’a vite repérée et que des liens s’établissent avec les nouveaux venus. Ce n’est pas partout pareil, mais ici, la convivialité est forte, l’on fête les anniversaires, la dame qui vit en dessous apporte des gâteaux et tout le monde se réunit, les voisins sont des polonais, des algériens, des marocains et des Sri Lankais.

Qu’est-ce que cela vous apporte d’être « la grand-mère » de votre résidence ?

Nous étions trois femmes parmi les plus anciennes, ma voisine de palier qui est partie, Aïcha et son mari ingénieur, mais je suis toujours restée la doyenne. Ces personnes étaient impliquées dans la vie sociale et dans la vie collective. Ensemble nous avions une culture commune et un bien commun, c’est avec eux que j’ai créé l’université populaire à Gennevilliers. On se sentait un peu privilégiés d’être propriétaires parmi les autres locataires si bien que nous ouvrions nos portes à tout le monde et nos enfants fréquentaient les mêmes écoles.

À quoi ressemblerait votre maison idéale ?

Je n’ai pas envie d’habiter autre part. Dans ma maison de campagne je me sens bizarrement moins en sécurité. Enfin je force le trait car dans mon village il y a 400 habitants et tout le monde se connaît. Mais je me sens plus à l’aise à Gennevilliers, ici je n’ai pas peur, je suis bien. Il est certain qu’au niveau de mon confort, si j’étais riche, je ferais appel à un architecte d’intérieur et je décorerais mieux mon appartement. Cela fait dix ans que je n’ai rien changé, j’écris des livres et je n’ai pas le temps. Chaque fois je remets à plus tard. Par conséquent, j’entasse mon bazar et notamment des bouquins que j’ai pris l’habitude de poser partout y compris sur les lits !

Votre maison idéale aurait-elle une énorme bibliothèque ?

Ce serait bien à condition qu’elle soit rangée, mais pas par moi! Ma maison idéale ? Il n’est pas certain que j’aimerais un pavillon car cela suppose un jardin et des fleurs et je n’ai pas la main verte…

Je pense à changer d’étage. Les voisins du rez-de-chaussée aimeraient bien s’installer dans mon appartement, sauf qu’ils sont locataires et moi propriétaire de sorte qu’il n’y a pas moyen d’échanger nos logements.

Comment envisagez-vous votre vieillesse ?

Ce sont les escaliers qui me gênent et il y a trois étages dans cette résidence. Pour l’instant ça va très bien, je n’ai pas de soucis, je parviens à porter mes bouteilles d’eau et je monte allègrement les marches. Mais d’ici un an ou deux ? Récemment je me suis étalée dans la rue, je n’avais pas des chaussures adaptées et je me suis salement amochée. J’ai eu peur de rester handicapée, si bien que je pense à changer d’étage. Les voisins du rez-de-chaussée aimeraient bien s’installer dans mon appartement, sauf qu’ils sont locataires et moi propriétaire de sorte qu’il n’y a pas moyen d’échanger nos logements.

Êtes-vous encore active et quel est votre rythme de vie ?

J’ai beaucoup d’activités mais je vais de moins en moins dans Paris, une fois par semaine seulement. 40 ans de métro, je suis saturée ! Mes activités se recentrent sur la ville, c’est-à-dire que je m’occupe de l’université populaire où je fais des réunions, je donne des cours, je fais des permanences, je m’occupe des questions du patrimoine artistique, enfin, j’écris des livres sur l’orientation scolaire et professionnelle mon ancien métier. Ce qui signifie que je vais voir des gens chez eux pour les interviewer, donc je bouge. Surtout à pieds, je ne prends pas le bus, encore que je vais le prendre plus souvent car je vois les gens se parler entre eux, je pourrais prendre des notes pour alimenter mes enquêtes. C’est très interculturel ici, j’entends parfois des conversations sur les recettes de cuisine ou sur la vie des enfants, c’est à se plier de rire !

Finalement le bus c’est un lieu de rencontres ! Quand on est à la retraite, même actif, recherche-t-on des lieux d’échanges pour aller vers les autres ?

Ah oui, mais dans le bus je ne parle pas, j’écoute les conversations que les femmes ont entre elles parce qu’elles vont chercher les gamins à l’école, elles se connaissent et jase sur leur quotidien, c’est très drôle.

Pourquoi vous déplacez-vous moins sur le grand territoire ?

Je me déplace moins, mais je me déplace à pieds. J’aime marcher. J’ai une voiture pour aller faire mes courses au grand centre commercial à Villeneuve-la-Garenne et j’y vais très souvent. Paris me plait bien moins et j’y suis allée durant 40 ans !

Je vais de moins en moins dans Paris, une fois par semaine seulement. 40 ans de métro, je suis saturée ! Mes activités se recentrent sur la ville.

Seriez-vous prête à vivre dans un studio parisien ?

Oui bien sur, un appartement de 2 pièces dans le 5ème arrondissement de Paris je ne cracherais pas dessus ! Certes, il y a du bruit dans Paris, mais certains quartiers sont paisibles surtout près d’un grand parc, d’autres le sont moins. Du temps où je travaillais au CNAM [Centre National des Arts et Métiers] c’était très sympa, j’aurais aujourd’hui un logement rue Saint Martin ou Rue Conté, je l’occuperais sur le champ.

Avez-vous évolué dans vos choix de vie et vos attentes ?

J’occupe toujours un appartement de quatre pièces et les chambres de mes enfants, encore en l’état, servent désormais à mes petits-enfants quand ils viennent me voir ou à des amis. J’ai vraiment de quoi héberger quatre personnes confortablement. Et j’ajoute des matelas au sol quand les jeunes viennent en bande.

En fait, il y règne chez vous un esprit « maison »…

Exactement, bien qu’il s’agisse d’un appartement en étage. Mais je préviens mes voisins par courtoisie en mettant un mot dans leurs boites à lettres, quand j’ai des week-ends en famille, donc plus bruyants.

Je me déplace moins, mais je me déplace à pieds. J’aime marcher.

Votre fille habite-t-elle Gennevilliers ?

Elle habite un rez-de-chaussée vers le métro.

Est-ce une raison qui vous fait rester dans cette ville ?

C’est une ville qu’on aime parce qu’elle est très sympathique, très culturelle, très interculturelle, il s’y passe plein de choses que ce soient des activités sportives ou des sorties culturelles. Hier, j’échangeais en bas de la résidence avec des gamins de 16-17 ans qui me racontaient leur vie : «Madame, nous sommes allés en Algérie, un voyage offert par la mairie, c’était super bien…». La ville prend en charge les frais et montre à sa manière un certain respect vis-à-vis de cette génération attachée à son histoire familiale. Il s’agit d’une quinzaine de mômes, les parents participent selon leurs possibilités, c’est pourquoi ils sont attachés à cette ville qui cultive la convivialité, l’ouverture au monde et à la culture, le maire en tête.

J’ai un esprit porté sur le collectif, mais j’ai des moments où j’aime bien être seule pour écrire.

Il semblerait que vous-même cultiviez un caractère solitaire et collectif, n’est-ce pas ?

Je cultive les deux. J’ai un esprit porté sur le collectif, mais j’ai des moments où j’aime bien être seule pour écrire. Il ne faut pas que l’on m’embête quand je suis concentrée, si j’ai besoin de rester une semaine sans voir personne parce que j’ai besoin de faire un article important ou de terminer un texte, je peux ne voir personne pendant ce temps-là. En fait, je ne pourrais pas être tout le temps avec du monde.

Revenons à votre rôle de grand-mère dans la résidence… Vous sentez vous utile ?

Les voisins viennent spontanément me demander conseil sur quantité de choses. Par exemple, ma voisine polonaise ne savait pas comment faire une demande de logement social, elle est venue m’interroger. Quand elle veut écrire une lettre craignant de faire des fautes d’orthographe, elle m’appelle et me demande parfois de superviser les devoirs de son fils.

En fait, je ne pourrais pas être tout le temps avec du monde.

Qu’est ce que la vieillesse pour vous ?

C’est contempler ses rides le matin dans la glace. Décider ou non de teindre ses cheveux blancs et être moins rapide et moins patiente. Avoir de l’âge c’est aussi dire franchement ce que l’on pense et les gens en sont tout étonnés. La sagesse me manque, je râle souvent car je ne supporte pas les incivilités… les ordures qui jonchent l’escalier par exemple …

Comment gérez-vous votre espace et votre mobilité ?

Spatialement, je privilégie mon fauteuil, même si j’ai du mal à en sortir parfois…. Concernant la mobilité, bus ou voiture, j’adapte mon mode de transport selon mes besoins.

Votre vendredi soir idéal ?

Être chez soi bien au chaud, faire un petit repas sympathique, éventuellement aller au cinéma ou au théâtre. J’aime bien sortir, à Gennevilliers, ou je regarde la télévision après diner, mais cool !

Jardin ou balcon ?

Balcon, je n’ai pas de jardin.

Ville ou campagne ?

J’ai les deux, mais je préfère la ville, plus anonyme qu’à la campagne où tout se sait et se raconte…

Appréciez-vous l’anonymat ?

Disons la discrétion. À la campagne je suis souvent invitée à la table de mes voisins, c’est sympathique, mais je me sens souvent décalée, reste qu’ils m’aiment beaucoup et si je vends ma maison ils seront tristes, ils m’apprécient car je leur apporte le vent de la ville !

Seule ou accompagnée ?

Plutôt accompagnée !

La plante préférée ?

La marguerite.

Merci Ginette !

Interview réalisée le 3 janvier 2020 à Gennevilliers par Aurélie Barbey