Image du podcast

Yvette déménage
Voir le podcast
Entrepreneurs #3

Dominique Thierry - L’écosystème des seniors

Description du podcast

Dominique Thierry a co-fondé France Bénévolat, dont il est aujourd’hui président d’honneur. Reconnue d’utilité publique, cette association promeut l’engagement bénévole associatif pour une citoyenneté active.

  • Par Aurélie Barbey
  • Le 24 janvier 2020 à la Maison de l'architecture Île-de-France
  • Montage : Valentin Brion Musique - Ezechiel Pailhès Label - Circus Company

Écouter le podcast

Contenu du podcast

Retrouvez l’analyse de l’entretien de Dominique Thierry,
dans l’ouvrage du Printemps de l’Hiver.

• Promouvoir l’habitat intergénérationnel
• Ensemblier territorial citoyen
• Divers modèles d’habitat intergénérationnel
• Un accompagnement humain
• Que partager ?
• Penser des écosystèmes

Retranscription de l’entretien

Qu’est ce que France Bénévolat ?

France Bénévolat est une association d’associations, créée en 2003, dont la finalité est de développer l’engagement bénévole associatif au service d’une citoyenneté active. Les missions de base consistent à promouvoir le bénévolat auprès de tout public et les intermédiations, c’est-à-dire rapprocher des associations adhérentes à France Bénévolat qui cherchent des bénévoles et des candidats potentiels, nous faisons également du conseil. Ces actions se produisent dans le cadre d’une citoyenneté active qui soutient des programmes divers sur des grandes thématiques sociétales dont la solidarité intergénérationnelle qui nous occupe depuis dix ans.

Vous venez de publier un livre chez l’Harmattan : « La solidarité intergénérationnelle sur le terrain – sous-titré : Pourquoi ? Avec qui ? Comment ? ». En quoi consiste l’habitat intergénérationnel pour France Bénévolat ?

L’habitat intergénérationnel n’est qu’une partie de la solidarité intergénérationnelle. C’est sur cette thématique que nous avons démarré en 2010 en nous appuyant sur des projets associatifs intergénérationnels et en mettant en relation les associations d’un territoire qui sont intéressées par ce thème afin qu’elles travaillent ensemble, ce qui n’est pas évident. Cette démarche a abouti à des thèmes opérationnels dont le grand sujet sur l’habitat intergénérationnel, un thème important qui aborde notamment la lutte contre l’isolement. Souvent, ces thèmes se recoupent et ont des effets indirects induits.
L’habitat intergénérationnel spécifique est composé de plusieurs types d’actions. Mais avant toutes choses, disons que la France est en retard sur ce sujet en comparaison avec d’autres pays européens. Par exemple en Allemagne, cette initiative est beaucoup plus ancrée, elle se traduit soit par ce qu’on appelle la cohabitation intergénérationnelle, soit par la notion d’habitat intergénérationnel. Aujourd’hui, en France, quelques offices d’HLM commencent à réaménager certains immeubles pour y faire vivre ensemble plusieurs générations. Il y a même quelques projets avancés de quartiers intergénérationnels dont l’aménagement urbain est repensé afin de répondre aux conséquences spatiales du vieillissement.

Cette démarche brasse de l’humain et de l’ingénierie, elle met aussi en relation avec précaution, ce que l’on appelle du tissage fin avant que le contrat puisse devenir effectif.

Selon vous, quels seraient les pré-requis pour que ce type de lieu fonctionne ?

Aujourd’hui, en France, la cohabitation intergénérationnelle concerne environ 90 associations qui y travaillent régulièrement, le principe est simple sur le papier, mais beaucoup plus compliqué à mettre en œuvre sur le terrain.
Le dispositif concerne des personnes âgées qui possèdent des appartements devenus trop grands parce que les enfants sont partis, de sorte qu’elles acceptent d’accueillir des jeunes, étudiants ou pas, en contrepartie d’un loyer modeste inférieur au prix du marché, moyennant quelques services. Naturellement, il faut que les séniors acceptent d’ouvrir leurs appartements à la jeune génération, ce qui n’est pas évident, par conséquent, il faut que les règles du jeu soient précises. La mise en œuvre nécessite un maillage en dentelle raison pour laquelle les associations s’en chargent et non les agences immobilières. Cette démarche brasse de l’humain et de l’ingénierie, elle met aussi en relation avec précaution, ce que l’on appelle du tissage fin avant que le contrat puisse devenir effectif. S’agissant d’un immeuble intergénérationnel, conçu ex nihilo ou reconstitué avec un architecte, le projet s’appuie sur une véritable transformation de la structure du bâtiment pour le rendre « intergénérationnel », c’est à dire qu’il faut penser à des lieux communs et à un espace destiné à l’animation sociale, etc. Rien que cette approche nécessite une conception architecturale spécifique à fortiori urbanistique si elle s’inscrit dans un quartier. Tout dépend aussi de ce que souhaitent les futurs occupants, c’est fondamental. L’étape suivante étant de mettre du “soft”, c’est-à-dire de l’animation.
Je me souviens d’une grande ville qui a mis des millions d’euros pour reconstituer un quartier dans une logique intergénérationnelle, mais dans lequel il n’y avait pas d’animation sociale. Résultat : l’opération n’a pas marché. Il faut donc les deux aspects. France Bénévolat en association avec d’autres partenaires a joué ce rôle d’animateur social.

Comment se déroule le projet de la place des fêtes à Paris 19e ?

C’est une initiative intéressante émanant d’une personne qui a créé une association du nom de « L’Accordage » et qui est partie de l’idée de faire de la cohabitation intergénérationnelle. Nous l’avons beaucoup accompagnée. Cette expérience s’est ensuite développée avec des bailleurs sociaux très favorables à ce type d’innovation, de sorte qu’il faut maintenant trouver des séniors qui ont des appartements devenus trop grands, soit environ 10% d’entre eux. Ensuite, il faut les convaincre de passer à l’acte, les réserves étant grandes chez les réticents. D’où l’idée de leur donner une garantie via L’Accordage permettant de faire volte face si cela ne marche pas. Cette initiative est un beau projet et c’est pourquoi nous sommes très impliqués en créant des ateliers intergénérationnels afin que le quartier entier puisse promouvoir les échanges entre habitants. C’est une approche plus globale qui nous amène à créer un écosystème territorial de solidarité intergénérationnelle dans lequel l’habitat est naturellement fondamental, mais pas seulement.

Quand nous parlons de solidarité intergénérationnelle, il s’agit de réunir des jeunes et des séniors dans une habitation, mais il ne faut pas oublier les âges intermédiaires, c’est-à-dire les jeunes ménages ou les familles de façon à promouvoir l’habitude de vivre ensemble entre toutes les générations.

Dans cet écosystème, quelles sont les nouvelles formes spatiales qui apparaissent ? Y a-t-il des espaces spécifiques qui sont générés, des lieux partagés, de la mutualisation ?

Tout dépend justement des lieux. C’est, par exemple, créer un jardin partagé ou des ateliers communs sur différents sujets, à l’image de celui fondé par Béatrice Auvray, chef de projet à L’Accordage. De son propre aveu, elle souligne qu’une grande partie des problèmes des séniors c’est la fracture numérique. D’où l’idée d’animer des ateliers afin d’apprendre aux séniors à utiliser un ordinateur, mais aussi dans un certain nombre de cas les aider à faire leurs déclarations en ligne à leur place. Ces moments-là sont propices au lien humain entre les générations.
Quand nous parlons de solidarité intergénérationnelle, il s’agit de réunir des jeunes et des séniors dans une habitation, mais il ne faut pas oublier les âges intermédiaires, c’est-à-dire les jeunes ménages ou les familles de façon à promouvoir l’habitude de vivre ensemble entre toutes les générations.

Quel est le rôle de France Bénévolat sur ce type de projet ?

Nous accompagnons l’association dans une réflexion globale à la manière d’un ensemblier territorial, et ce terme nous va bien car il s’agit aussi d’urbanisme. Mais notre rôle essentiel est de faire travailler ensemble des gens qui ne se connaissent pas, du moins qui n’ont pas l’habitude de la transversalité ou qui expriment des réserves, à savoir les associations, les municipalités, un CCS, un bailleur social. Tout l’intérêt à nos yeux est que les personnes apprennent à se connaître et à travailler ensemble même si elles ont des logiques différentes.

Concrètement, les mettez-vous en lien, organisez-vous des réunions ?

Nous animons des réunions et nous allons sur le terrain avec du matériel pour “amorcer la pompe”, en l’occurrence un film de témoignages qui est une bonne façon de faire les présentations. Maintenant, sur ces volets-là, nous avons beaucoup d’outils, des méthodologies relativement stabilisées, c’est d’ailleurs sur quoi repose mon ouvrage puisque nous y travaillons depuis une décennie avec quelques 700 expériences au compteur. On sait de quoi on parle. En revanche, nous nous heurtons le plus souvent aux facteurs culturels sur lesquels il faut miser sur le temps long.

Notre rôle essentiel est de faire travailler ensemble des gens qui ne se connaissent pas, du moins qui n’ont pas l’habitude de la transversalité ou qui expriment des réserves, à savoir les associations, les municipalités, un CCS, un bailleur social.

Comment créez-vous des lieux spécifiques en partage ?

Dans ce cas, il ne s’agit pas d’un seul immeuble, mais d’un quartier et c’est le cas de la Place des Fêtes que l’on voudrait amener progressivement à faire vivre de façon intergénérationnelle. Deux expériences « historiques » nous servent de références. L’une qui n’est pas pilotée par France Bénévolat mais elle est très connue et se trouve non loin de Dijon où un quartier a été bâti et conçu pour devenir un lieu intergénérationnel. L’autre est un projet en cours de même nature, il se trouve dans l’Eure, autour de la vallée de l’Andelle, à Charleval, où un ancien terrain vague de 35.000m² a été aménagé avec des services communs. Il est aujourd’hui opérationnel car le principe est enfin acquis. Les processus sont souvent très longs en raison des problèmes de foncier. Dans ce cas précis, il s’agit d’une maison de santé originale dans la mesure où 35 professionnels la “co-portent” à plein temps. L’une des conditions du bien vieillir est consécutif à la mobilité, à l’isolement et naturellement à la santé, il faut donc avoir des services de soins à proximité, les séniors étant très angoissés à l’idée de ne plus avoir de médecin accessible sur leur territoire.

En quoi est-il indispensable d’avoir un accompagnement humain sur ces opérations ?

L’accompagnement humain me parait tellement évident ! Il peut concerner l’ingénierie, donc le savoir-faire, et c’est notre rôle sur le montage des projets, car tout cela est complexe et pas évident. Ensuite, l’accompagnement est plus concret, l’idée essentielle étant de répondre aux besoins de toutes les générations en leur faisant comprendre qu’elles sont actrices du système. Lorsque nous parlons de bénévoles de seniors, nous disons travailler “pour”, “par” et “avec”. Si les séniors sont en bonne santé, ils demeurent des acteurs citoyens, si ce n’est pas le cas ils sont au mieux des consommateurs au pire des coûts. Être ou redevenir acteur dépend de leur état de santé, de leur forme et de leur capacité à entreprendre. Mais s’il y a des lieux pensés pour eux, c’est plus facile, idem pour les familles qui peuvent ainsi s’occuper de leurs enfants le soir ou les aider à faire leurs devoirs.
Quand les usagers deviennent vraiment très âgés, la préoccupation première est de les maintenir le plus longtemps possible dans leur quartier, dans leur logement, avant d’aller malheureusement, et c’est la dernière extrémité, en maison de retraite. Dans un quartier intergénérationnel, la maison de retraite peut être pensée différemment et non comme la plupart d’entre elles, c’est-à-dire un lieu fermé, cloisonné, à l’image d’une prison.

L’une des conditions du bien vieillir est consécutif à la mobilité, à l’isolement et naturellement à la santé, il faut donc avoir des services de soins à proximité, les séniors étant très angoissés à l’idée de ne plus avoir de médecin accessible sur leur territoire.

Vous parliez d’écosystèmes locaux de solidarité, en quoi cela consiste-t-il ?

Le terme est écologique et dans le cas présent il correspond à la taille d’un bassin de vie. Ce n’est pas défini à priori. Il s’agit d’un ensemble géographique dans lequel les gens ont le sentiment de vivre et d’appartenir. Ce n’est pas forcément la commune, par exemple le quartier de la Place des Fêtes, c’est un bassin de vie de 20.000 habitants. La vallée de L’Andelle rassemble 20.000 habitants, c’est un bassin de vie. Mais dans une grande ville cela peut être un arrondissement de Paris comme le 15e qui n’est pas un bassin de vie mais un sous-ensemble.
L’objectif est de définir le lieu où les gens ont envie de vivre et de rester, ensuite la notion d’écosystème est effectivement le contre-pied de la logique française qui est une logique descendante par silos, que l’on dit « top-down ».
Dans le cas qui nous occupe, nous sommes vraiment dans une démarche intégralement inverse. Le but est de faire en sorte que l’ensemble des acteurs, municipalités, associations, acteurs publics, entreprises, et habitants, acceptent de travailler ensemble sur un projet commun et des actions concrètes.
Lorsque l’on lance ce type d’opérations sur fond d’écosystème, nous faisons des études préalables, reste qu’il faut vite fournir des actions concrètes parce que sinon la démarche paraît très théorique. C’est quand arrivent les premiers exemples que la mayonnaise commence à prendre. Après, il faut continuer sur plusieurs années jusqu’à ce que cet écosystème se constitue parce que ce sont des processus de longue durée. Dès lors que des morceaux de réalisation apparaissent, nous commençons à nous faire comprendre.

Qu’est-ce que le programme d’action intitulé « Solidage 21 » ?

Solidage 21 était le premier volet global de notre démarche, il exprime une solidarité entre les âges au XXIe siècle. Au démarrage d’un premier plan d’actions en 2011, nous avons décidé d’appeler ce programme ainsi, c’est une marque de fabrique, qui se décline en “sous-programmes” regroupant 700 expériences. La notion d’écosystème est un aboutissement car nous sommes arrivés à la conclusion qu’en montant et en accompagnant des expériences cela ne faisait pas système. Cette notion-là offre quelque chose de supplémentaire par rapport à des expériences innovantes.

L’idée essentielle est de répondre aux besoins de toutes les générations en leur faisant comprendre qu’elles sont actrices du système. Lorsque nous parlons de bénévoles de seniors, nous disons travailler “pour”, “par” et “avec”.

Comment opérez-vous sur le plan architectural, avez-vous mis en place des cahiers des charges ?

Non, parce que nous ne sommes pas architectes. En revanche, il nous paraît intéressant de travailler avec vous. Pour l’heure, nous sommes impliqués dans deux opérations, en premier lieu, il s’agit du quartier international de Charleval en partenariat avec le centre social. Dans ce cas précis, nous avons fait appel à un cabinet d’urbanisme qui nous épaule gratuitement dans le cadre d’un mécénat de compétence. Il a conçu une première maquette qui a permis aux élus territoriaux de comprendre notre projet. Le maire de l’époque était partie prenante pour faire un quartier intergénérationnel et nous avons pu y réfléchir dès sa conception, mais ce cas est exceptionnel.
L’autre exemple concerne un immeuble intergénérationnel proche de l’université d’Amiens pour lequel un investisseur nous a sollicités dès le départ étant donné qu’il souhaitait répondre à un besoin de chambres d’étudiants mixées avec des logements pour jeunes ménages et des appartements pour personnes âgées. Nous n’avons pas donné notre avis sur le concept architectural mais sur la nécessité d’aménager des salles communes et des lieux d’animation sociale. De fait, c’est maintenant France Bénévolat qui anime le volet animation sociale dans cette résidence intergénérationnelle ouverte depuis septembre 2019.

Ne pensez-vous pas qu’il serait opportun de mettre en place une mission interministérielle sur le sujet afin d’avoir un regard transversal et permettre une diffusion des savoirs sur ces questions ?

Vaste question ! Nous avons eu beaucoup d’échanges avec différents ministères sur « l’intergénérationnel ». Mais faire comprendre la notion de solidarité intergénérationnelle à un ministre - je le dis sans agressivité - c’est redoutable. Chaque fois j’entends le même refrain : « Vous allez vous occuper des vieux ! », c’est dire si les cabinets ministériels ont une vision sociale du sujet au sens réduit du terme. Systématiquement, je réponds que mon rôle est de faire en sorte que les séniors et les personnes âgées restent des acteurs de la vie sociale. Se faire comprendre est compliqué, j’en veux pour preuve l’exemple de la Ville de Paris où France Bénévolat via sa présidente – il s’agit de ma femme Anne-Marie – a tenté une expérience, mais il a fallu réunir pléthore d’adjoints, celui chargé des vieux, des jeunes, des quartiers prioritaires et celui de l’urbanisme ce qui n’a pas été simple. Pour autant, ils se sont montrés satisfaits c’était la première fois qu’ils abordaient tous ensemble ce sujet ; reste que la transversalité n’est pas un facteur culturel dominant en France, tout marche par silos, or ces approches-là ne peuvent se concevoir que dans un esprit de travail collectif.

L’objectif est de définir le lieu où les gens ont envie de vivre et de rester, ensuite la notion d’écosystème est effectivement le contre-pied de la logique française qui est une logique descendante par silos, que l’on dit « top-down ».

Savez-vous comment cela se passe ailleurs en Europe ?

Par exemple, en Suède, il n’y a pas de ministère de la jeunesse et de ministère des personnes âgées, mais il y a un ministère de la solidarité intergénérationnelle. UN seul ministère ! En Allemagne, une maison de retraite est le plus souvent équipée de commerces moyennant quoi, chacun vient y faire ses courses, rien à voir avec ce qui existe en France où ce sont des lieux fermés, sans vie, où les personnes âgées sont parquées dans un environnement parfois épouvantable. Alors, oui, s’il y avait un comité interministériel ce serait une avancée, mais il faudrait déjà faire comprendre à chacun de ses membres le concept même de solidarité intergénérationnelle.

La vision française des maisons de retraite est héritée du 19e siècle et assez hygiéniste. Elle est commune aux centres dédiés aux personnes handicapées que l’on décentralise pour les cacher derrière des murs…

Nous avons un autre programme appelé Handicap Engagement qui permet à des personnes en situation de handicap de faire du bénévolat, comme des citoyens lambda. Là aussi, nous tombons sur les mêmes problèmes de représentation. Idem pour notre programme sur les migrants…

Pour clôturer notre échange, nous aimerions vous demander, pour vous, c’est quoi bien vivre en ville demain ?

C’est avoir le sentiment d’être utile le plus longtemps possible.

Interview réalisée le 24 janvier 2020 à la Maison de l’architecture Île-de-France par Aurélie Barbey