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Fréderique Quemener & Stéphane Sebastiani - Accompagner le vieillissement

Description du podcast

Frédérique Quemener et Stéphane Sebastiani travaillent à la direction Activités Sociales d’AG2R LA MONDIALE, groupe paritaire et mutualiste ayant pour domaines d’expertises la retraite, la santé, la prévoyance, l’épargne et l’innovation sociale.

  • Par Aurélie Barbey & Alexandre Sfinstesco
  • Le 8 septembre 2020 à la Maison de l'architecture Île-de-France
  • Photographie : Olivier Leclercq Montage : Valentin Brion Musique - Ezechiel Pailhès Label - Circus Company

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Contenu du podcast

Retrouvez l’analyse de l’entretien avec Frédérique Quemener et Stéphane Sebastiani,
dans l’ouvrage du Printemps de l’Hiver.

• Vieillir chez soi
• Vers un habitat décent
• Lutter contre l’isolement
• Questionner les modèles types de parcours résidentiels
• Vers des logements adaptables

Retranscription de l’entretien

Tout d’abord, comment allez-vous ? Comment vivez-vous cette période particulière ?

S.S : Bonjour à tous les deux. Je vais relativement bien dans ce contexte particulier. Cette crise sanitaire est, pour beaucoup d’entre nous, assez perturbante. Elle interroge à la fois sur notre finitude, nos libertés et notre rapport à l’inattendu. Durant le confinement, le philosophe Edgar Morin a écrit dans la revue Tract de Gallimard un article qu’il a nommé « Un festival d’incertitudes ». C’est un peu ce que je ressens en ce moment, mais c’est tout à la fois assez stimulant. Je sais que l’être humain possède une capacité assez importante d’adaptation au changement, et pendant la période de confinement, nous avons pu assister à de nombreux élans de solidarité et à de belles initiatives citoyennes. Je pense que cette crise nous donne l’occasion de nous réinventer.

F.Q : C’est une rentrée effectivement masquée et singulière, comme vous avez pu le souligner. Aujourd’hui, nous devons nous adapter à cette période inédite, incertaine, où la distanciation physique et la prudence de rigueur sont les seules solutions dont nous disposons. Je reste optimiste quant à l’humain et la manière dont il va reprendre sa place en temps voulu.

Nous avons beaucoup travaillé durant ce confinement qui a dévoilé la vulnérabilité des plus âgés. Nous avons essayé de renforcer tout ce qui était action de proximité, avec la mise en place de nombreux services à destination des seniors, des partages de repas, etc.
On s’est aperçu qu’il y avait une nécessité absolue à travailler à la fois sur des actions individuelles, mais aussi sur des actions collectives .

Quel est l’impact pour AG2R LA MONDIALE ? Pour les mutuelles ? Et quel est l’impact pour les personnes âgées ?

S.S : Nous avons beaucoup travaillé durant ce confinement qui a dévoilé la vulnérabilité des plus âgés. Nous avons essayé de renforcer tout ce qui était action de proximité, avec la mise en place de nombreux services à destination des seniors, des partages de repas, etc. On s’est aperçu qu’il y avait une nécessité absolue à travailler à la fois sur des actions individuelles, mais aussi sur des actions collectives dont Frédérique pourra vous dire quelques mots.
Nous avons accéléré la cadence en termes de services de proximité. Nous avons monté de très belles opérations avec des partenaires, notamment Simplon qui s’occupe du service numérique. Nous avons livré de nombreuses tablettes et des ordinateurs aux soignants, aux personnes en réanimation, aux associations qui faisaient du bénévolat, qui aidaient notamment les personnes isolées. Nous avons fait livrer aussi beaucoup de repas grâce à des structures d’insertion, notamment des ESAT. Vous savez qu’ils ont dû en partie fermer durant le confinement. Pour ces établissements qui embauchent des personnes handicapées, c’était l’occasion de poursuivre leur mission d’accompagnement.

F.Q : Effectivement, nous avons développé énormément de services en direction de nos aînés, en direction de nos entreprises clientes et en direction de nos branches. Une initiative qui nous a beaucoup marqués est la création d’une coalition mobilisant plusieurs de nos partenaires et des acteurs de l’économie sociale et solidaire ; coalition qui a pour ambition d’avoir une approche vraiment globale de la personne pour mieux répondre à ses besoins d’aujourd’hui, mais aussi à ses besoins de demain.

On sait que neuf Français sur dix veulent vieillir chez eux. En France, il y a un réel attachement à son chez-soi, qui dépasse les murs de son logement pour s’associer à la manière d’habiter, au mode d’habiter, à la vie dans son quartier .

Finalement ce qui ressort pour vous de cette période difficile, c’est plutôt une sorte d’espoir ?

S.S : Oui. En tout cas, nos partenaires qui œuvrent dans le cadre de l’économie sociale et solidaire se sont vraiment monopolisés, et l’on a pu remarquer à quel point cela constituait un delta de différenciation. Quand tout tourne, quand tout va bien, ces acteurs qui œuvrent au quotidien peuvent paraître invisibles. Mais quand la machine s’emballe, on est bien content de les trouver.

La question qui nous réunit aujourd’hui est celle des seniors. Pouvez-vous d’abord définir ce qu’est AG2R LA MONDIALE ?

S.S : AG2R LA MONDIALE est un groupe paritaire et mutualiste qui intervient sur plusieurs métiers : ceux de la retraite complémentaire, de la retraite supplémentaire, de la question de la prévoyance, de la santé et de l’épargne. Nous avons à peu près 15 millions d’assurés en France et plus de 1,6 million d’entreprises qui cotisent à AG2R LA MONDIALE. Cela représente quand même une entreprise sur quatre. Nous comptons dans ce groupe dix mille collaborateurs qui sont répartis sur l’ensemble du territoire national. À la direction Activités sociales, nous sommes 220 collaborateurs. La marque de fabrique d’AG2R est d’être le groupe des territoires. Nous avons la chance d’avoir un ancrage très territorialisé avec des équipes en régions, proches des préoccupations locales, proches de la ruralité. Nous essayons d’investir et d’être présents en ruralité.

Il ne s’agit pas de se préoccuper uniquement de l’habitat et de son adaptation, encore faut-il traiter le volet inclusion dans son ensemble et lutter contre l’isolement des seniors. Du coup, l’on s’efforce vraiment de développer des solidarités de
proximité par l’intermédiaire d’associations, d’acteur de l’ESS. Nous travaillons sur l’isolement, mais également sur l’isolement numérique.

Pouvez-vous nous présenter les différents axes retenus par la direction Activités sociales du groupe AG2R LA MONDIALE sur la thématique de l’habitat ?

F.Q : C’est une thématique très forte pour notre groupe. Nous sommes aujourd’hui guidés par une feuille de route Habitat rédigée en prenant en compte l’adaptation nécessaire de la société, des territoires, du bâti, au vu bien sûr des évolutions démographiques et sociétales que nous connaissons depuis ces dernières années.

Cette thématique Habitat est guidée par trois axes majeurs. Le premier vise à soutenir une politique qui permette à chacun de disposer, selon ses choix individuels, d’un habitat adapté à son autonomie. On sait que neuf Français sur dix veulent vieillir chez eux. En France, il y a un réel attachement à son chez-soi, qui dépasse les murs de son logement pour s’associer à la manière d’habiter, au mode d’habiter, à la vie dans son quartier. Autre chiffre-clé : 6 % seulement des logements sont adaptés à la perte d’autonomie. Par conséquent, AG2R LA MONDIALE s’attache vraiment, dans le cadre de ses actions, à permettre à chacun d’avoir un parcours résidentiel qui corresponde à ses attentes et à son degré d’autonomie. Nous travaillons donc avec des partenaires sur le maintien à domicile, sur l’adaptation du domicile. Nous favorisons également le développement de formes alternatives de logement, des habitats intermédiaires entre le domicile et l’EHPAD.

Le deuxième axe de notre feuille de route concerne la lutte contre le mal-logement et la précarité énergétique. La précarité énergétique touche aujourd’hui 5 millions de personnes, dont 50 % de plus de 60 ans. Par l’intermédiaire de nos partenariats, nous soutenons la professionnalisation et la structuration des acteurs, tels que le réseau Écohabitat ou la fondation Abbé Pierre avec qui l’on a construit un partenariat important. Et nous soutenons également de nouvelles formes de logements qui soient économes, modulables et temporaires.

Enfin le troisième axe retenu est le développement des solidarités de proximité. Car il ne s’agit pas de se préoccuper uniquement de l’habitat et de son adaptation, encore faut-il traiter le volet inclusion dans son ensemble et lutter contre l’isolement des seniors. Du coup, l’on s’efforce vraiment de développer des solidarités de proximité par l’intermédiaire d’associations, d’acteur de l’ESS. Nous travaillons sur l’isolement, mais également sur l’isolement numérique.

S.S : L’idée qui guide notre accompagnent sur ces questions-là est de ne pas confiner les personnes âgées, mais de les aider à sortir de leur logement. Parce qu’en fin de compte, il n’y a rien de pire qu’une personne qui serait confinée et qui perdrait son autonomie. Sur la question de l’habitat, nous travaillons aussi sur tout ce qui lui est périphérique, notamment la question du lien social. La fédération AGIRC-ARRCO a lancé, il y a une dizaine d’années, le chéquier « Sortir + » qui permet aux personnes âgées d’avoir des structures de médecins à domicile ou paye leurs déplacements, non seulement pour aller consulter un médecin, mais aussi pour rendre visite aux copains et aux copines. Le lien social fait partie de la thématique Habitat, tout ceci constitue un écosystème. La question de la mobilité en fait aussi partie.

Le lien social fait partie de la thématique Habitat, tout ceci constitue un écosystème. La question de la mobilité en fait aussi partie.

Frédérique, vous avez évoqué la manière dont on ressent le logement en France et l’attachement qu’y ont les Français de tous âges, même en vieillissant (presque plus en vieillissant parce que le logement incorpore beaucoup de souvenirs). Selon vous, cette relation est-elle spécifique à la France ? Est-ce européen ? Culturel ?

F.Q : C’est culturel, je pense. L’attachement à son chez-soi touche beaucoup de pays latins. On observe le même phénomène en Italie ou en Espagne. Il me semble que les habitants des pays du Nord n’ont pas le même attachement à leur domicile. En tout cas, ils sont plus enclins à déménager. Dans les pays anglo-saxons, on reçoit moins chez soi. On voit ses amis dans les pubs ou au restaurant. Dans les pays latins, on aime inviter ses amis chez soi.

Effectivement, il y a la question de recevoir chez soi. La perte d’autonomie peut engendrer une perte d’accès à certains services parce que la société n’est pas structurée pour ça. Du coup se produit un double effet : perte d’autonomie et isolement. De nos jours, on cherche à retrouver du commun dans les espaces. Comment créer dans le territoire, dans les quartiers, ces lieux du commun, ces espaces du commun ?

S.S : Notre façon de concevoir l’habitat est très culturelle. Cela nous ramène à l’urbanisation de nos villes avec l’église au centre du village, etc. Cela va même plus loin en termes d’ancrages. La France a son histoire, ses châteaux, ses villages… Il y a un ancrage fort à la question de l’habitat.

En revanche, il serait intéressant pour les futures générations de repenser le parcours résidentiel. Ne faut-il pas avoir un parcours résidentiel différent en fonction de ses besoins ? La chambre d’étudiant quand on est jeune, le logement social ensuite si on n’a pas beaucoup de moyens… Le modèle phare en France, c’est l’accès à la maison individuelle, mais cette maison sera-t-elle adaptée à nos besoins en vieillissant ? Pas forcément. Il n’y a pas vraiment de schéma résidentiel aujourd’hui. Peut-être, les futures générations parviendront-elles à faire bouger ces lignes et peut-être repenseront-elles ces modèles.

Il serait intéressant pour les futures générations de repenser le parcours résidentiel. Ne faut-il pas avoir un parcours résidentiel différent en fonction de ses besoins ? La chambre d’étudiant quand on est jeune,
le logement social ensuite si on n’a pas beaucoup de moyens… Le modèle phare en France, c’est l’accès à la maison individuelle, mais cette maison sera-t-elle adaptée à nos besoins en vieillissant ? Pas forcément.
Il n’y a pas vraiment de schéma résidentiel aujourd’hui. Peut-être, les futures générations parviendront-elles à faire bouger ces lignes et peut-être repenseront-elles ces modèles.

Les personnes vieillissantes vivant dans des maisons de taille plus importante que leurs besoins, mais avec des moyens financiers moins conséquents, ne peuvent parfois pas entretenir leurs biens. Certaines solutions ont vu le jour comme les colocations intergénérationnelles, qui constituent des solutions à l’échelle domestique. Puis il y a l’échelle du quartier qui demande tout de même à ce que l’on réinsère du commun. Si l’on retire les bancs dans les rues, où vont s’asseoir les personnes âgées ? Ce sont des choses relativement simples parfois.

S.S : C’est vrai qu’il existe de nouveaux modes d’habiter, comme l’habitat participatif, ou l’intergénérationnel. Nous avons beaucoup accompagné des projets de ce type, et nous le faisons encore. Ce que l’on constate malgré tout c’est que ce n’est pas immédiat. Ce n’est pas si facile que ça. Notamment l’intergénérationnel. La cohabitation entre une personne âgée et un étudiant se base parfois sur des malentendus, des faux « contrats » : les parents du jeune étudiant pensent qu’il a juste une chambre pour ses études et la famille de la personne âgée pense qu’il va remplacer l’aide à domicile. Ce type de projet doit s’accompagner et nous soutenons les associations qui favorisent la contractualisation et la réussite de ces binômes. Notre expérience nous fait dire qu’il faut passer par des structures qui ont l’habitude de traiter ce type de sujet et qui peuvent entretenir une médiation dans le cas où cela se passerait mal. C’est une forme d’habitat alternatif qui est en train de monter en puissance.

La cohabitation entre une personne âgée et un étudiant se base parfois sur des malentendus, des faux « contrats » : les parents du jeune étudiant pensent qu’il a juste une chambre pour ses études et la famille de la personne âgée pense qu’il va remplacer l’aide à domicile. Ce type de projet doit s’accompagner et nous soutenons les associations qui favorisent la contractualisation et la réussite de ces binômes.

Qu’est-ce que l’espace de démonstration développé par AG2R ?

F.Q : Vous voulez sûrement parler de l’espace « Idées Bien chez moi ». C’est un espace créé par AG2R depuis dix ans dans le 10e arrondissement de Paris. Un showroom dédié à l’aménagement et à l’adaptation du domicile, ouvert à tous, du lundi au vendredi. Il se veut être un lieu de prévention sur l’aménagement du domicile. On y trouve de nombreuses informations sur les solutions, les équipements qui favorisent l’autonomie à domicile. On peut y suivre un parcours de sensibilisation à travers un appartement-témoin, où l’on retrouve des aménagements, mais aussi des petites astuces de vie, parce qu’il ne faut parfois pas grand-chose pour éviter les chutes à domicile et faciliter le quotidien d’une personne âgée.

Côté aménagements, on connaît effectivement les douches à l’italienne, les barres d’appui, tout ce qui permet d’adapter le logement, mais il existe aussi des astuces telles qu’une petite lumière sur son porte-clés qui permet de mieux discerner une serrure dans une cage d’escalier sombre, ou encore le rai lumineux disposé au sol dans un couloir pour pouvoir se lever la nuit en toute sécurité. Vous avez énormément d’astuces de ce type pour la cuisine.

Ce showroom intègre aussi un espace de conférences thématiques et d’ateliers gratuits, autour de sujets sur le bien-être, la santé, l’économie, le droit, l’habitat et le lien social. Il est très fréquenté et sera prochainement digitalisé parce qu’il est énormément visité par des provinciaux. Nous soutenons également d’autres espaces, d’autres appartements-témoins, parfois même sous forme de bus. Notamment à Besançon ou à Lille où un appartement-témoin va prochainement s’ouvrir.

S.S : Je pense qu’il nous faut aussi intégrer ces bonnes astuces dans notre quotidien à tous pour nous favoriser la vie et pas seulement les réserver aux personnes âgées ou aux personnes handicapées.

L’espace « Idées Bien chez moi » : c’est un espace créé par AG2R depuis dix ans dans le 10e arrondissement de Paris. Un showroom dédié à l’aménagement et à l’adaptation du domicile, ouvert à tous, du lundi au vendredi. Il se veut être un lieu de prévention sur l’aménagement du domicile. On y trouve de nombreuses informations sur les solutions, les équipements qui favorisent l’autonomie à domicile.

De notre côté, depuis les lois de 2005 sur le handicap, nous avons constaté que l’espace public connaissait de véritables améliorations d’accès favorables à tous et pas uniquement aux personnes en fauteuil roulant. Concernant le logement, vous parlez d’ergonomie finalement. Les ergothérapeutes travaillent sur l’adaptation ponctuelle de l’habitat pour chacun, mais il y a aussi la question de l’ergonomie globale. De quelle manière, selon vous, les designers vont-ils se saisir de cette question alors qu’un quart de la population a plus de 65 ans ? Comment l’insérer de façon permanente ?

F.Q
Ce qui vaut pour les personnes âgées vaut pour les parents des jeunes enfants. Nous sommes plus attachés à l’idée de l’adaptabilité du logement plutôt qu’à celle de l’habitat adapté. L’adaptabilité n’est pas stigmatisante, le logement peut revenir à son état initial. Dans du locatif, une personne jeune peut reprendre l’appartement d’une personne âgée sans avoir les barres d’appui, mais tout de même les renforcements muraux. Je pense qu’il n’est pas nécessaire de promouvoir une adaptation complète du logement, mais plutôt une adaptabilité progressive selon la perte d’autonomie.

S.S : Je crois que cela fait son chemin. La nouvelle loi d’adaptation votée récemment est en train de rendre obligatoires les douches à l’italienne sur les constructions neuves, par exemple. Et cela fait des années que les caisses de retraite comme AG2R financent l’adaptation du passage de la baignoire à la douche à l’italienne pour les personnes âgées. On a aussi beaucoup parlé de la largeur des portes qui permettent de faire passer les fauteuils des personnes handicapées. Il faut rendre cette largeur nécessaire parce que, que vous soyez handicapé ou pas, cela ne change pas votre manière d’habiter ; en revanche cela peut vous permettre de demeurer dans votre logement si un jour vous vous retrouvez handicapé.

Comme vous le dites, c’est un enjeu de civilisation, puisqu’on n’a jamais autant vieilli… si vieux. Dans les années à venir, la part des personnes âgées dans la population va considérablement augmenter, et nous en ferons partie. Les choses avancent tout de même, qui se transformeront en loi, car les lois doivent inciter les changements dans la manière de construire.

Il nous faut aussi intégrer ces bonnes astuces dans notre quotidien à tous pour nous favoriser la vie et pas seulement les réserver aux personnes âgées ou aux personnes handicapées.

Il y a aussi une balance économique à trouver. Casser des douches en faveur des personnes en perte d’autonomie représente un certain coût. Le prévoir à l’avance est peut-être plus cher, mais au final la facture est peut-être moins élevée. Il y a un équilibrage à trouver entre l’avant et l’après. C’est toujours la question de qui paie, et à quel moment. On a tendance à dire : les autres paieront plus tard. Mais si on paie avant, cela coûte moins cher. Tout ce qui peut être intégré en amont permet de faire des économies in fine. Existe-t-il, selon vous, des résidences d’un type nouveau, qui soient adaptées aux séniors ?

S.S : Oui, nous en parlions tout à l’heure. Depuis plusieurs années émergent de nouvelles formes d’habitat. Nous y sommes attentifs, que ce soit l’habitat partagé, l’habitat participatif ou la colocation intergénérationnelle. Il y a une dizaine d’années, un bailleur social nous a proposé un projet qui s’appelait « Papy-Loft ». Architecturalement, c’était assez intéressant puisqu’il s’agissait d’un complexe d’habitations permettant à chaque personne d’avoir une entrée individualisée avec au centre une agora, c’est-à-dire des espaces collectifs. Nous finançons de plus en plus des projets de ce type avec des espaces permettant aux utilisateurs de se rencontrer, de créer du lien social, mais aussi des espaces pouvant servir de salles de soin, où des soignants peuvent intervenir. Ceci en préservant l’intimité des utilisateurs.

Nous favorisons ces nouveaux modèles, comme le participatif, mais nous sommes aussi persuadés qu’ils doivent être accompagnés par une ingénierie particulière. Ce n’est pas le tout d’avoir l’idée, encore faut-il mettre en place la structure qui va accompagner l’émergence de ces modèles.

F.Q : Pour la réussite d’un habitat participatif, il faut effectivement une ingénierie de projet, il faut des compétences. À un certain moment, le groupe de participants qui élabore le projet ne suffit pas, sauf s’il comporte un architecte ou des personnes vraiment spécialistes. Il faut un accompagnateur. Ce métier d’accompagnateur se développe d’ailleurs de plus en plus pour aider des collectifs à monter leur habitat participatif.

Nous sommes plus attachés à l’idée de l’adaptabilité du logement plutôt qu’à celle de l’habitat adapté. L’adaptabilité n’est pas stigmatisante, le logement peut revenir à son état initial. […] Je pense qu’il n’est pas nécessaire de promouvoir une adaptation complète du logement, mais plutôt une adaptabilité progressive selon la perte d’autonomie.

Avant de conclure notre échange, une question ouverte : c’est quoi, pour vous, bien vieillir en ville demain ? En 2030, 2040, 2050 ?

S.S : Je rêve d’une ville qui serait plus inclusive, pas uniquement adaptée au bien vieillir, mais aussi au bien-être et au bien vivre ensemble, que l’on soit enfant, personne à mobilité réduite ou personne âgée. La ville devra aussi intégrer le plus possible la nature. On remarque que de plus en plus de projets urbains donnent la part belle à la végétation, aux arbres, notamment pour lutter contre la pollution. Elle devra aussi être plus silencieuse grâce aux murs végétalisés, aux véhicules électriques. On y vient. Il faudra des transports en commun accessibles à tous, avec de vraies solutions de mobilité. Je ne sais pas si vous le ressentez comme moi, mais, même si l’on développe les pistes cyclables pour extraire la voiture des centres-villes, tout le monde n’a pas vraiment de solutions de mobilité. La ville de demain devra répondre à ces enjeux.
La ville devra se faire avec des bâtiments à énergie passive, car la lutte contre le gaspillage énergétique sera un enjeu majeur du siècle à venir. On parle beaucoup de précarité énergétique, mais le gaspillage est aussi une vraie question. On devra avoir une véritable réflexion pour une ville beaucoup plus écologique. Elle est inévitable pour faire face au défi climatique. Il faudra y ajouter une réflexion sur la gestion de l’eau. La ville devra traquer la moindre fuite dans ses soubassements. Donc une ville plus écologique avec une vraie conscience du vivant.

Frédérique, quelle est votre vision du bien vieillir en ville dans les prochaines décennies ?

F.Q : Je souhaiterais une ville vraiment accueillante, plus verte et plus participative. Une ville dont la conception urbaine favorise l’autonomie de tous — pas uniquement de nos aînés —, qui soit vraiment accessible à tous. Une ville écologique qui prend en compte les impacts de la pollution atmosphérique, mais aussi les impacts de la pollution sonore. On parle peu de la pollution sonore. Durant le confinement du printemps 2020, le silence à Paris a été juste extraordinaire. Une ville qui soit aussi vraiment adaptée à notre quotidien, aux changements de vie. Une ville facilitatrice et vraiment servicielle qui réponde vraiment à nos usages.

Merci à tous les deux pour vos réponses et votre soutien à cette étude. Vous nous éclairez sur beaucoup d’éléments et votre expérience en la matière nous aide à voir les choses différemment.

Interview réalisée le 20 septembre 2020 à la Maison de l’architecture Île-de-France par Aurélie Barbey & Alexandre Sfintesco