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Élus #4

Christian Robache - Penser la ville de demain avec les citoyens

Description du podcast

Christian Robache est maire de Montévrain (Seine-et-Marne) depuis 2009. Il est également vice-président de l’agglomération Marne et Gondoire, vice-président de l’AMIF, association des maires d’Île-de-France, et président du SIETREM, syndicat de collecte et de traitement des déchets ménagers.

  • Par Guillaume Sicard
  • Le 18 décembre 2020 à la mairie de Montévrain (77 144)
  • Photographie : Olivier Leclercq Édito  : Michèle Leloup Montage : Valentin Brion Musique - Ezechiel Pailhès Label - Circus Company

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Contenu du podcast

Retrouvez l’analyse de l’entretien avec Christian Robache,
dans l’ouvrage du Printemps de l’Hiver.

Des séniors impliqués
• Connecter les générations
• Participation citoyenne pour penser la ville de demain

Retranscription de l’entretien

Tout d’abord, monsieur le maire, comment allez-vous ? Comment avez-vous vécu cette période particulière dans laquelle nous sommes encore aujourd’hui ?

Merci, bonjour à vous tous. Comment je l’ai vécue ? J’ai déjà vécu une année 2019 difficile puisque j’ai été opéré d’un quadruple pontage du cœur. Cela donne une autre vision des choses, une sagesse hors-norme. Au moment où je m’en sortais, l’épidémie est arrivée et le confinement a été une sorte de « continuité » dans ma convalescence. Je l’ai bien vécue, tout simplement. Je pense qu’il faut prendre les choses telles qu’elles sont et surtout être prudent. Et je me dois, en tant que personne à risque, d’être encore plus prudent que les autres.

Le rapport avec vos administrés en a-t-il été modifié ? Notamment au moment de l’élection municipale ?

Non, cela n’a pas forcément été différent, parce que ma verve reste la même. En revanche, cet accident m’a fait découvrir pas mal de choses. Avant je prenais la vie telle qu’elle était, comme si elle m’était due. Aujourd’hui, c’est un vrai cadeau. Je vois les choses avec plus de hauteur, je vais vite à l’essentiel, j’analyse plus vite, j’avance plus vite et je m’entoure sûrement de meilleures personnes. Je ne suis pas là pour me convaincre que je dois faire « ça, ça et ça », je suis plus en harmonie avec moi-même, envers mes convictions. J’entends plus les choses que je ne les entendais auparavant. Mais je suis toujours un homme de terrain. Comme je le dis depuis douze ans que je suis maire, être un élu local c’est avoir le sens des gens. Et je pense que ce sens des gens est dix fois plus développé aujourd’hui.

Nous avons une population de plus de 65 ans qui tourne autour de 14 %. C’est bien réparti dans les différents quartiers. Et la ville a des seniors très actifs. C’est-à-dire qu’on les voit, ils participent un peu à tout. Et puis ce qu’il faut savoir, c’est que nos seniors ne veulent pas être des seniors.

Vous parlez de conviction, quelles sont les vôtres ? Quelles sont celles que vous défendez en tant que maire depuis douze ans ?

Le sens des gens, le sens du cœur, aller au bout des choses, ne pas contester sans être force de proposition, connaître ses sujets, être, entre guillemets, un bon citoyen. Et si on ne connaît pas le sujet, excusez-moi l’expression, mais on se la ferme, tout simplement. À un moment donné, il faut être clair. On vit une époque assez particulière. Si on compare un mandat de maire d’il y a vingt ans et un mandat de maire aujourd’hui, on se rend compte que l’on n’est plus sur les mêmes rapports avec les gens. Aujourd’hui, on se fait insulter, on se fait agresser, on est responsable de tout. Certains sont, comme j’ai l’habitude de le dire, à portée de baffe. Nous sommes devenus un punching-ball républicain. Même si le maire demeure l’élu préféré des Français… ce qui reste encore à prouver.

C’est plus difficile, mais encore une fois, c’est un état d’esprit. Si l’on est assez curieux, on parvient toujours à une solution de dialogue ou à une solution de concertation. Je pense qu’on a manqué de pédagogie depuis des années. On n’a aucune politique éducative dans ce pays, et c’est la base de tout. On attend que les maires le fassent à la place de l’État. Il y a plein de petites choses comme ça sur lesquelles on a manqué vraiment de « parler-vrai », de véritable pédagogie pour que tout le monde s’implique.

Vous prenez quelqu’un qui arrive dans une ville, aujourd’hui. À quel moment s’intègre-t-il dans son quartier ? C’est la grande question que je me pose depuis que je suis maire. Et je pense que la réponse est claire : c’est à partir du moment où il a un enfant qui commence l’école. C’est peut-être la seule passerelle grâce à laquelle il peut vraiment s’intégrer dans la ville, ou en tout cas parler avec les uns et les autres. Mais nous ne connaissons pas encore la mesure de cela.

Ce que j’ai voulu — je suis désolé de le dire comme ça — c’est que certains projets de fin de vie s’orientent vers les nouveaux quartiers, et en même temps que les jeunes populations investissent les zones pavillonnaires, découvrent les bords de Marne, le bourg. Aujourd’hui il y a un parcours résidentiel qui est assez phénoménal, on le sent sur le bourg.

La question qui nous réunit aujourd’hui est celle des seniors. Quelle est leur place dans la pyramide des âges de vos administrés ?

La ville de Montévrain accueille 1 000 habitants par an depuis dix ans. Même si le bourg ne l’est pas, l’ensemble de la ville est donc très jeune. Nous avons une population de plus de 65 ans qui tourne autour de 14 %. C’est bien réparti dans les différents quartiers. Et la ville a des seniors très actifs. C’est-à-dire qu’on les voit, ils participent un peu à tout. De notre côté, nous pouvons l’observer à travers nos organismes, comme le Centre Communal d’Action Sociale (CCAS), ou grâce au pass senior. Et puis ce qu’il faut savoir, c’est que nos seniors ne veulent pas être des seniors.

Justement, c’est quoi un senior pour vous ?

Pour moi un senior a plus de 65 ans. C’est en tout cas ce qui a été défini en termes politiques. Ceci étant, à partir du moment où l’on est à la retraite on devient un senior. Sans vouloir être démagogique, je trouve que notre population vieillit bien. Nos seniors sont très actifs, ne serait-ce que par leur ancienne vie professionnelle ou par leur vie associative. Ils touchent à tout. Aux sports, aux associations culturelles, à la vie intellectuelle de la cité. J’en suis content.

À une certaine époque, Montévrain était surtout connue pour ses résidences secondaires, son héritage. Dans les années 1980-90, c’est devenu très pavillonnaire. Il n’y avait pas d’immeuble collectif. C’est venu avec l’écoquartier qui a apporté une nouvelle attractivité. Le secteur a évolué ; Magny-le-Hongre a connu les mêmes évolutions. Nous avions deux polarités : l’ancien Montévrain et le nouveau Montévrain et nous savions que ce dernier était habité essentiellement par des jeunes : 80 % des moins de 35 ans y vivaient, avec peu de moyens de déplacement, peu de connexion avec le bourg. Nous avons créé ce lien, cette passerelle de communication. Et ce que j’ai voulu — je suis désolé de le dire comme ça — c’est que certains projets de fin de vie s’orientent vers les nouveaux quartiers, et en même temps que les jeunes populations investissent les zones pavillonnaires, découvrent les bords de Marne, le bourg. Aujourd’hui il y a un parcours résidentiel qui est assez phénoménal, on le sent sur le bourg.

Je ne suis pas seulement ancré sur la ville de Montévrain. Nous sommes sur une agglomération. Nous dialoguons avec les autres maires. Nous discutons avec l’EpaMarne, qui est l’aménageur de l’État, avec qui nous élaborons des projets.

Vous voulez dire qu’aujourd’hui il y a tout pour bien vieillir à Montévrain ?

À Montévrain et aux alentours. Personnellement, je suis attaché au territoire, pas uniquement à ma ville. Nous ne sommes pas dans une bataille de clochers. Quand je construis un complexe sportif, je le construis pour le territoire, pas uniquement pour la ville. Notre lycée va servir au territoire, le collège sert déjà au territoire. Un commerce sert au territoire. Je ne suis pas seulement ancré sur la ville de Montévrain. Nous sommes sur une agglomération. Nous dialoguons avec les autres maires. Nous discutons avec l’EpaMarne, qui est l’aménageur de l’État, avec qui nous élaborons des projets.

Quel est le rôle de l’EpaMarne dans les décisions d’aménagement au sens large ?

L’EpaMarne représente la commande de l’État, mais c’est surtout une entité qui nous apporte un véritable soutien grâce à ses experts : urbanistes, sociologues ou autres. Nous dialoguons avec eux, nous leur exprimons notre manière de voir les choses parce que nous sommes en prise avec le terrain. Lorsque j’ai été élu maire pour la première fois, j’ai fait stopper tous les projets de l’EpaMarne pour les repenser, repenser les quartiers, les centralités, réinstaller des ilots avec des maisons individuelles là où il n’y avait que des barres d’immeubles. Nous avons fait baisser certaines hauteurs et nous en avons fait élever d’autres. Nous essayons d’intégrer de la mixité fonctionnelle qui crée de l’emploi et de la vie, qui donne de la visibilité à la ville. Ceci au sein d’une équipe qui travaille en plein partenariat avec l’aménageur, et nous avons réussi. Nous avons mis dix ans pour que la mayonnaise prenne. Aujourd’hui, je suis peut-être l’un des rares à défendre l’EpaMarne alors que j’ai été le premier à le combattre.

Vous expérimentez et vous semblez avoir conscience, à travers l’aménagement, des difficultés, à créer une relation entre les classes d’âge. Quelle stratégie urbaine mettez-vous en œuvre ?

Cela se fait surtout à travers les écoles. Avec le CCAS, nous organisons des repas rassemblant des seniors et des enfants. J’y participe, et c’est fabuleux. Nous faisons découvrir des quartiers à des seniors qui ne peuvent pas se déplacer, soit par manque de transport soit par manque de mobilité physique. Cela crée du lien et on sent qu’il y a une demande, un élan. Nous travaillons là-dessus, sur ces deux axes principaux qui sont les seniors, mais aussi la jeunesse, parce qu’on n’a jamais vraiment pris en compte la jeunesse à Montévrain.

Vous voulez une ville intergénérationnelle ?

Oui, même si c’est un mot qui sonne un peu trop marketing à mon goût. C’est comme le « bien vivre ensemble », ça me fait un peu rigoler. En tout cas, nous faisons tout pour que ce lien social soit prononcé.
Concernant les projets, je les prends comme des règlements intérieurs. Vous avez une base, puis vous aménagez en fonction des usages, des expériences. Nous créons une résidence senior qui accueille de grands espaces. Elle peut intégrer un club-house, une micro-crèche, peu importe, cela se fera avec le temps. Mais les espaces communs que l’on a prévus permettront une mutabilité des usages selon le dialogue que nous avons établi avec les gens qui achètent ou qui louent.

Je me suis aperçu qu’au départ les gens ne savent pas forcément ce qu’ils attendent, mais une fois qu’ils sont dedans ils sont impliqués. C’est un peu comme le PLU. Les gens ne s’expriment pas lorsqu’on le met en place, mais une fois que ça se construit à côté de chez eux ils s’aperçoivent qu’ils auraient dû le faire. Nous essayons de l’anticiper, de les impliquer, de les faire s’exprimer, mais c’est difficile. Je suis pour la participation citoyenne, j’ai toujours cette idée un peu idéaliste. Je vais vous donner un ordre d’idée. Sur l’écoquartier qui fait 3 500 logements, j’ai organisé des réunions publiques et seules 27 personnes se sont déplacées. Cependant, je reste convaincu que la participation citoyenne doit faire partie des usages de tous les jours. Mais il faut être constructif et pas dans le déni d’information pour démolir l’autre. Une fois au pied du mur on sait réagir, mais le Français a du mal à bien réagir avant.

De toutes les manières, je vais vous dire une chose, les gens ne savent pas toujours ce qu’ils font. Il arrive qu’on habite une ville par défaut, cela existe. Quand on a décidé, quand on choisit, c’est toujours mieux. Mais on peut avoir cette crainte de parler aux politiques ou aux personnes concernées, ce qui n’est effectivement pas facile. C’est un peu comme quand on place son enfant dans une école. On peut avoir peur de parler avec la maîtresse qu’elle ait une vision de notre enfant différente de celle que l’on a. Ce sont plein de petites choses qu’il faut faciliter. Être élu, c’est aller à la rencontre de la population, aller dialoguer, aller chercher des informations. Si on attend, cela n’arrive pas. J’ai envie que cette participation citoyenne soit dix fois plus développée, mais encore une fois, dans une co-construction, pas dans « ce que tu fais, ce n’est pas bien ».

C’est vous qui impulsez la ville…

Je suis là pour décider. J’ai été élu pour décider, et c’est mon troisième mandat. Nous avons organisé une concertation sur du mobilier urbain et cela n’a pas très bien fonctionné. Nous avons organisé une concertation pour aménager des places et cela n’a pas bien fonctionné non plus. Malgré ce que l’on peut animer, il n’y a pas vraiment d’élan. Nous avions une maison d’écoquartier, personne ne venait. Pourtant, c’est en bas de l’immeuble, à côté de la boulangerie.
Mais encore une fois, je ne leur jette pas la pierre. Je salue le président de l’AMIF, qui est aussi le vice-président de Région en charge des transports et se bat depuis des années, mais quand on voit que nos concitoyens ont doublé leur temps de trajet en cinq ans sur le RER A, on comprend qu’ils n’aient pas envie de s’investir lorsqu’ils rentrent chez eux à 20 h.

Notre réussite ne dépendra pas d’une compétition entre élus, savoir qui est le meilleur au niveau régional ou départemental, savoir qui aura le plus de pouvoir, mais d’une meilleure communication entre nous.

Merci Christian Robache. Afin de conclure notre échange, une question ouverte : pour vous, c’est quoi bien vieillir en ville demain ? En 2030, 2040, 2050 ?

C’est une vraie question. Je me lève tous les matins en me disant que je suis en vie, parce que j’ai failli mourir trois fois depuis l’année dernière. Alors il m’est difficile de répondre sur un si long terme. Mais c’est vrai que c’est un sujet.

J’ai la chance de faire partie des instances dirigeantes de l’AMIF, ce qui me permet d’échanger, de partager mon expérience et de m’inspirer des expériences des autres. Lorsque l’on parle de la ville, on emploie souvent des mots qui ne servent à rien : smart city, ville incluse, truc, machin… Je préfère parler des choses vraies. Le parler-vrai, c’est l’état d’esprit, c’est la participation citoyenne. Que vous soyez aisé ou pas, que vous soyez senior ou pas.

Bien vieillir c’est, sans parler d’informatique, pouvoir se connecter correctement à sa ville. Être lié à sa ville. Demain, si j’ai envie d’aller à l’autre bout de ma ville, je sais y aller correctement, je peux y trouver telle ou telle chose, grâce aux services publics, grâce à la vie de certains quartiers qui vont m’évoquer des choses. L’accès au numérique doit aussi être de plus en plus développé. Les plus demandeurs sont les seniors, il ne faut pas l’oublier, qu’il s’agisse de bien savoir utiliser un ordinateur, tout simplement, ou de savoir trouver des services de proximité. Lorsque l’on aura trouvé cette alchimie tout en gardant les fondamentaux, c’est-à-dire de bien se parler, de se respecter, de respecter ce qui est fait pour la ville, je pense qu’on parviendra à faire quelque chose de bien. Et le rôle de l’élu est très important à ce niveau-là. Il doit répondre à une identité de quartier ou même provenir de ce quartier. Pour moi, la ville de demain se sont les quartiers, et l’agglomération doit chapeauter l’ensemble, c’est aussi le sens de l’histoire.

Et puis il faut avoir une vision, transmettre, partager, être fier de vivre dans sa ville. Quand je sors dans Montévrain, même si certaines choses ne me font pas plaisir, m’ennuient, je bombe le torse. Aujourd’hui, je vois des gens qui sont plutôt en train de baisser la tête, de ne pas se parler parce que personne ne veut connaître l’autre. Que peut-on faire pour que demain untel puisse échanger avec untel ? C’est un vrai sujet. En tant qu’élus, nous sommes parfois démunis par rapport à cela. Même si on y met de l’argent, des idées, même si on fait intervenir des experts, si on travaille nos sujets, on n’a pas de réponse. Et ça, c’est très difficile. C’est ma frustration quotidienne. Si je fais ça, est-ce que je le fais bien ? Comment ça va être ?

Quand vous construisez du collectif dans un quartier, vous vous demandez ce que ça sera dans 100 ans. Et si c’est raté, ce sera de votre faute. Pas celle de l’architecte, pas celle du promoteur ni celle de l’aménageur qui livre les clés. En tant qu’élus, nous sommes là, notre nom s’inscrit avec le projet. En revanche, quand des gens sont contents d’une architecture, de la physionomie des voiries, de la qualité des matériaux, je me dis que j’ai réussi quelque chose ou que nous avons réussi quelque chose.

Aujourd’hui je me pose des questions. Faut-il que je mette plus l’accent sur un sujet social pour que l’on vive correctement ensemble ? Ou plutôt sur une sujet économique ? Numérique ? Sur un vrai sujet de vie tout simplement ? Parfois, je n’y parviens pas, je n’ai aucune idée, je suis dans l’impasse. Et puis deux jours après ça va repartir, parce que j’aurais eu une discussion avec une personne que je ne connaissais pas, un entretien, ou même un rendez-vous au sujet d’une plainte pour quoi que ce soit. En tant que maire, on ne fait parfois que cela, recevoir les plaintes, pas les remerciements. Notre réussite ne dépendra pas d’une compétition entre élus, savoir qui est le meilleur au niveau régional ou départemental, savoir qui aura le plus de pouvoir, mais d’une meilleure communication entre nous. Mais c’est passionnant, c’est fabuleux d’être élu.

Merci monsieur le maire pour cet échange. C’était le Printemps de l’Hiver.

On n’est jamais fort tout seul.

Interview réalisée le 18 décembre 2020 à la mairie de Montévrain par Guillaume Sicard